Un procès s’ouvre à Charlottesville.

jeudi 17 janvier 2019
par  Dyan

Le 12 août 2017, à Charlottesville en Virginie, se tenait une grande contre-manifestation, opposée aux divers rassemblements organisés par l’extrême-droite américaine. Pendant tout l’été, celle-ci avait ressemblé des suprémacistes blancs, des nationalistes, les membres de l’Alt-Right (1) et beaucoup de milicien.ne.s néonazi.es, tous protestant contre le retrait d’une statue de Robert Lee, général en chef des armées confédérées, esclavagiste notoire. Hormis une volonté politique locale bien pensée, ce mouvement fasciste appelé pudiquement « Unifier La Droite (Unite The Right) » se définit également comme un mouvement partisan, supposé de masse, exprimant clairement son intention de peser dans le débat politique local (des élections dans l’État étaient à suivre), mais aussi fédéral, Trump ayant déjà largement mâché le travail de la minimisation des passages à l’acte racistes. Plusieurs fois durant le mois d’août, les antifascistes et les fascistes s’affrontent, tendant encore davantage un climat délétère créé par les manifestations d’extrême droite.

Le 12 août, pendant plus de 24 heures, de nombreux rassemblements sont organisés à Charlottesville, donnant lieu, presque systématiquement à des confrontations violentes. Les militant-e-s anti-racistes, pacifiques sont violemment harcelé-e-s par les néonazis, défilant librement, armes à la main, dans les rues de la ville. Le nombre incalculable de drapeaux nazis exhibés et de slogans anti-noirs scandés est insignifiant au regard du nombre de violences recensées de la part des suprémacistes blancs : un homme se fait tirer dessus, deux noirs s’étant interposés devant le cortège fasciste sont poursuivis et battus, etc. Bienvenue au 19 ème siècle ! La violence est telle que l’état d’urgence est décrété dans la ville : la police est débordée, la situation est devenue ingérable. Dans une rue, un cortège solidaire des contre-manifestant.e.s se forme spontanément et déambule pacifiquement. James Alex Fields Junior, passionné du nazisme et manifestant suprémaciste fonce dans la foule et tue une femme de 32 ans, Heather D. Heyer.

L’événement devient mondial : tout le monde découvre cette ville et la gravité de la situation de cet État confronté à une véritable flambée d’actes racistes, fascistes et homophobes, à l’instar d’un pays tout entier bercé à coups de tweets présidentiels toujours plus affligeants les uns que les autres.

Le fascisme américain, bien que larvé depuis plusieurs décennies, est en plein essor depuis le début du 21ème siècle et la radicalisation des politiques libérales, entraînant la création d’un nombre important de groupes aux idées nauséabondes et méthodes violentes. Par exemple, alors que le nombre de ses membres était en baisse depuis 1990 (environ 3000 membres), le KKK connaît un accroissement particulier depuis le début des années 2000, faisant ainsi grimper ce nombre à plus de 8000. Auparavant isolé dans les thématiques suprémacistes et racistes et souvent associé à son image costumée, le KKK est « partenaire » d’un grand nombres d’autres organisations boneshead et miliciennes et se diversifie dans les pratiques fascisantes, comme le témoignent ces distributions de nourriture réservées aux américains, acte résolument raciste et devenu planétaire comme mode d’action des organisations d’extrême-droite. D’autres mouvements tout aussi détestables sont nés ces deux dernières décennies. L’essor qu’ils connaissent depuis l’élection de Donald Trump n’est que la manifestation d’une nouvelle adhésion importante d’un grand nombre de gens à des stratégies militantes d’extrême-droite et de la réhabilitation de thèses odieuses.

L’exemple parfait du revirement de la classe dominante vers ces thèses racistes est celui de Jason Kessler, coorganisateur des manifestations de Charlottesville, imminent activiste de l’Alt-Right. Initialement végétarien, athée, sympathisant du parti démocrate, admirateur de Barack Obama et initiateur du mouvement « Occupy Wall-Street » à Charlottesville, il retourne sa veste en 2016, année de la montée fulgurante de D. Trump, pour ensuite militer dans sa ville du côté des sympathisants républicains et finalement organiser le mouvement contre l’enlèvement de la statue de Robert Lee, tout en se démarquant de certaines franges radicales de l’extrême-droite (KKK), probablement pour asseoir son aura politique locale et rester clean. L’avenir ne lui sera pas favorable. Quelques jours après la mort de Heather D. Heyer, il tweete : « Heather Heyer était une grosse, répugnante communiste. Les communistes ont tué 94 millions de personnes. Il semble que l’heure du remboursement a sonné. » Appréciez l’humour. Le lendemain, Kessler se dédouane en invoquant la responsabilité du Xanax et de l’alcool. L’alcool ne l’empêche visiblement pas d’être con, au contraire. Il finira par supprimer son compte tweeter et restera néanmoins un des fers de lance du mouvement « Unite The Right 2 », à Washington l’été dernier. Comment des personnalités aussi aberrantes peuvent-elles être le moteur d’actions politiques d’une telle ampleur ?

Les exemples ne manquent pas aux États-Unis pour témoigner des positions politiques quant à des sujets comme ceux des migrations, du terrorisme et de la préférence nationale. L’Alt-Right regorge de personnalités aux discours moisis qui ont pignon sur rue (chaîne Youtube, sites internets fréquentés, réseaux sociaux suivis, etc.) et dont D. Trump ne réfute en rien les propos. Il se contente de renvoyer dos-à-dos les manifestants et contre-manifestants lors des heurts de Charlotesville. Dans un long message à la foule, ce jour d’août 2017, le grand « sorcier » du KKK annonce publiquement « commencer à faire ce que D. Trump avait promis durant sa campagne » et de « reprendre le pays. » D. Trump ne s’est d’ailleurs pas précipité pour condamner ces violences et le décès de la jeune femme. Dans un tweet lapidaire, il indique « [condamner] dans les termes les plus forts ces déferlements de haine, de sectarisme et de violence, venant de diverses parties. » C’est ainsi qu’il met sur le même plan les suprémacistes blancs et les militants antifascistes, jugeant également les violences des deux parties. La conclusion qu’il faudrait que nous en tirions ? « Ne rentrons pas dans le jeu des fascistes, laissons leur nos rues. » Il corrigera ce tir dans un second tweet encore très flou.

Ce lundi 26 novembre 2018, commence le procès de celui qui a foncé dans la foule, assassinant Heather D. Heyer et blessant 35 autres personnes. Ce procès devrait être un procès politique et soulever la question des actes de l’extrême-droite aux États-Unis. Mais il n’en sera rien, sauf si l’on croit encore en la justice bourgeoise « indépendante », dans un pays où la justice est inféodée aux intérêts de la classe dirigeante et du pouvoir exécutif, même si le premier jour sera destiné à la désignation délicate d’un jury populaire, parmi 360 personnes.

Ce procès devrait nous donner des réponses quant à la cruelle augmentation des actes racistes et autres faits de violences (lgbtqiphobes, sexistes, racistes, etc.) comme en témoignent les récents attentats perpétrés à l’égard de la communauté juive, à Pittsburgh.

D. Trump n’est ni plus ni moins que le pompiste dans ce grand plein d’essence que fait l’extrême-droite américaine. Il n’est pas seulement l’idiot qui s’exprime en 143 caractères sur des sujets inintéressants. Il est devenu celui qui organise et incite à la violence raciale des idiots au drapeau floqué d’une croix gammée. Toutes ses sorties médiatiques sur le droit des migrants, sur le droit des femmes ou sur l’ « alt-left » comme il se plaît à appeler la gauche antifasciste sont le carburant des agressions qui aboutissent à la mort de nos camarades militants.

Nous n’avons pas confiance en ce procès : l’incarcération ne sera d’ailleurs jamais une solution. La solution se trouve dans le combat de chacun.e contre les discours haineux, rétrogrades et sans fondements et dans la construction d’une société égalitaire et solidaire.

1. Alt-Right : terme générique qualifiant l’ensemble des mouvances d’extrême-droite.