Quelques figures d’insoumis
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Les dossiers de la préfecture de l’Ain consultés aux archives départementales regorgent de documents sur la surveillance des anarchistes au début du siècle. On y voit défiler des personnages hauts en couleur, trimardeurs, grandes gueules, vagabonds catalogués, fichés, traqués comme anarchistes même si beaucoup d’entre eux n’ont que des liens très flous avec le mouvement organisé. Voici le portrait de quelques uns d’entre eux.
Georges-Marie Grasser est né le 23 mai 1828 à Besançon. Il est condamné le 5 mai 1913 à 15 jours d’emprisonnement pour vagabondage et outrage à magistrat (ce n’est pas la première fois : il a déjà à son actif une cinquantaine de condamnations pour les mêmes motifs). Il se déclare employé de commerce, sans domicile fixe. Que lui reproche-t-on ? Le 2 mai 1913, il se présente à la mairie de Châtillon en Michaille et réclame un bon de pain qui lui est refusé. Il va alors chez le maire qui vient de rentrer chez lui et crie devant sa fenêtre : « Con, cochon, charogne, conseiller général de mes fesses ; tout à l’heure, je te ferai digérer le dîner ! ». Voilà comment on parle aux élus !
Camille Groeber est né le 30 mai 1874 à Bellegarde. Le 2 octobre 1905, il fait une conférence au Casino Miraillet (Bellegarde) sur le thème : « Dieu, Patrie, Caserne). Deux jours plus tard, il est incarcéré à Belley pour insoumission. On le transfère à Besançon (chef lieu du corps d’armée) puis on le ramène à Belley où il purge une peine de 15 jours. Le premier novembre 1905, on l’incorpore au 133ème régiment d’infanterie de Belley pour une instruction militaire de 4 semaines. Entre-temps, on sait qu’il a travaillé 2 jours à la ferblanterie Dedieu (Oyonnax). Ensuite, on perd sa trace.
Édouard Guerdat est né à Paris VIe le 24 décembre 1839. Il est colporteur de journaux et arrive à Nantua le 12 mars 1898. Il a déjà 59 ans et vend le Libertaire et l’Éclaireur. Il a le teint coloré, une forte corpulence et porte une casquette plate avec une inscription en lettres rouges : « le Libertaire ». Le 8 novembre 1900, il prend la parole lors d’une conférence « anticléricale, socialiste et contradictoire » au Casino Miraillet de Bellegarde. Le 10 mars 1901, il est signalé à Oyonnax, en compagnie de Sébastien Faure qu’il accompagne dans sa tournée. Le 13 mars 1901, on le signale encore à Bourg-en-Bresse, où il vend le Libertaire, le Journal des Curés, le Cocu et le Journal des Belles-Mères. Selon le rapport de gendarmerie, il attire les curieux par ses cris mais ne vend presque rien. Ensuite, on perd sa trace.
Théodore Guillet est né à Lyon le 16 novembre 1869. Il est colporteur et vend du papier à lettres, des enveloppes et des aiguilles. Le 6 juin 1905, il est arrêté à Ambérieu-en-Bugey pour vagabondage et pour s’être livré à la mendicité dans cette ville ainsi qu’à St Denis-en-Bugey. Arrivé à la caserne, il déclare : « quand je reviendrai, j’apporterai une bombe ; elles ne coûtent pas cher ; pour 65 centimes, on en fait une ». On le signale en 1906 à Tenay, en compagnie d’une femme qui chante. Elle est grande, vêtue de noir et se nomme Marie Isambert. Guillet déclare que c’est sa femme légitime. Le 16 août, il laisse une note impayée dans un restaurant de Bourg-en-Bresse et échappe enfin à la surveillance de la police.