Nos écoles, nos choix !
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Cet article a été initialement publié dans le numéro 294 d’Alternative Libertaire (Mai 2019). Depuis, l’ignoble Blanquer a repoussé certaines mesures. Mais le fourbe ne recule que pour mieux sauter (dans le vide, espérons-le).
Blanquer, notre cher ministre réactionnaire, voit désormais se dresser contre lui un front qui va des lycées au primaire. Un aspect important mais rarement analysé de sa politique est son caractère autoritaire : dans les écoles, ce sont des pratiques autogestionnaires précieuses qui sont menacées.
Début avril, à l’occasion d’une journée de grève, les écoles primaires rejoignent le secondaire dans la lutte, avec des taux de grévistes qui vont de 30 % en moyenne dans certaines académies à 70 % à Paris. En effet, à la triste perspective d’une casse du lycée public engagée par Blanquer, le projet de loi pour l’école de la "confiance" (sic) ajoute la mise à sac de l’école. D’une part, l’article 6 de la loi devrait induire la fermeture d’écoles rurales à l’occasion de leur regroupement et de leur rattachement aux collèges ; d’autre part il s’accompagne d’une baisse drastique des recrutements dans la plupart des académies pour l’année à venir ; mais au-delà de cette traditionnelle baisse de moyens, Blanquer avance aussi un projet de mise au pas des enseignantes et enseignants de l’école publique.
L’article 1 de la loi prévoit déjà un devoir d’exemplarité des personnels de la communauté éducative, ainsi sommés de ne pas dénigrer publiquement les réformes qu’ils et elles subissent. Mais surtout, le passage du primaire sous la tutelle des collèges implique de fait la suppression des directeurs et directrices d’école et la fin de ce qu’il reste d’autogestion dans les écoles maternelles et élémentaires. En effet, pour le moment, les enseignants et enseignantes du primaire sont encore éloigné·es de leur supérieur direct (géographiquement et moralement), qu’ils et elles ne voient que sporadiquement. La liberté de décision et d’organisation persiste encore grandement au sein des conseils des maîtres, instance décisionnaire de l’école.
Une tradition d’autogestion à l’école
Dans de nombreuses classes, aujourd’hui, les élèves expérimentent l’autogestion au quotidien : assemblées de classe, décisions collectives, régulation des échanges, gestion des conflits. Ce sont les enseignantes et enseignants qui impulsent cette dynamique et qui réussissent à faire vivre une réelle démocratie dans les classes. Loin des instances pseudo-démocratiques que représentent les conseils d’administration et les conseils de vie lycéenne dans le secondaire, les maîtres et maîtresses du primaire décident collectivement de l’organisation de l’établissement et peuvent, par exemple, créer avec les élèves un fonctionnement fédéral au sein d’une école, ou régler la vie de l’école en fonction de leurs besoins (gestion financière, organisation des récréations, commande de matériel, etc.). Il n’y a d’ailleurs pas besoin d’être un enseignant ou une enseignante experte dans les pédagogies alternatives : les apports des pédagogies autogestionnaires de Celestin Freinet ou Francisco Ferrer ont été très importants et on les retrouve encore dans les pratiques des enseignant·es usant de pédagogies plus traditionnelles.
« Il faut préserver ce qui nous reste d’autogestion dans les écoles primaires. »
Dans la gestion de l’école primaire, les directeurs et directrices occupent actuellement trois missions complémentaires : ils et elles animent les équipes pédagogiques en assurant la coordination de l’équipe enseignante, assurent les tâches administratives de l’école et assurent la liaison avec les familles, la collectivité, etc. Le conseil des maîtres et maîtresses est le seul moyen de prendre une décision concernant l’école et généralement, celle-ci se prend au terme de débats et discussions, souvent au consensus. La salle des enseignant·es est un vrai lieu d’échange et non pas un simple lieu de fonctionnement ! La mission de direction n’a jamais institué de chef·fe au pouvoir discrétionnaire. Il faut que cela reste ainsi, pour préserver ce qui nous reste d’autogestion dans les écoles primaires. Les enseignant·es doivent rester au cœur des écoles et décider collectivement de tout : date de la kermesse, refus collectif d’une demande administrative, gestion collective des élèves en situation difficile, etc. Même si les attaques administratives sont de plus en plus nombreuses, rares sont les inspecteurs et inspectrices qui s’immiscent dans la gestion interne d’une école. Un accueil plutôt froid leur est d’ailleurs réservé.
Le retour des chefs
Les ministres sont bien déterminés à faire sauter ce dernier verrou qui leur est une épine dans le pied, à l’image des refus massifs et collectifs par les instit’ des évaluations nationales de CP et CE1 en début d’année scolaire et en mars dernier. Depuis longtemps, l’on cherche à ce que les enseignantes et enseignants ne soient plus acteurs de leur pédagogie mais bien les valets d’une école triant les élèves dès la maternelle. L’annonce de la création d’établissements publics des savoirs fondamentaux (EPSF) a littéralement mis la corde au cou des conseils des maîtres et maîtresses en introduisant la possibilité de devoir référer directement à une hiérarchie surplombante, supprimant ainsi toute existence administrative des écoles et ouvrant la voie à des techniques de management pilotées depuis les collèges.
La question est sérieuse : comment répondre aux préoccupations d’une école maternelle dans un conseil d’administration qui gère aussi les difficultés d’adolescents de 15 ans ? Il est intéressant de se demander par exemple comment l’adjoint aux écoles primaires, basé au collège de secteur, pourra décider de la date de la kermesse ou encore de la gestion d’élèves violents sans prendre de décisions arbitraires, éloignées des réalités du terrain et ne convenant à personne. Dans les écoles, comme dans les entreprises, la hiérarchie encourage des attitudes individualistes et entrave la prise en main des outils de travail par les travailleurs et travailleuses.
Cette logique de caporalisation du primaire explique en partie l’entrée en lutte spectaculaire des écoles primaires, la stratégie des écoles mortes, rendue possible par le soutien des parents d’élèves, etc.
Comprendre cette logique autoritaire permet aussi d’éclairer une des conséquences importantes de la réforme du lycée et du bac : c’est aussi la solidarité des équipes qui est visée. Des lycées en concurrence pour un segment du marché éducatif, les spécialités remplaçant les séries qui étaient jusqu’ici les mêmes partout en France, verront les équipes entrer en concurrence entre lycées mais aussi au sein d’un même lycée, chaque discipline devant recruter suffisamment d’élèves pour sa spécialité pour éviter qu’elle ne ferme à la rentrée. Dès lors, l’autorité des chef·fes d’établissement, déjà ample, disposera d’autant de leviers de chantage et de division face à des équipes enseignantes désunies.
Andy (CAL Lyon) & Marco (CAL 36)