Les exaltés

jeudi 25 juillet 2019
par  Gia

De toutes parts, on entend mal parler des exaltés. Les gens sensés les méprisent ; les personnes décentes évitent leur contact. Et pourtant, le progrès humain est l’œuvre des exaltés.

L’humanité serait malheureuse si les exaltés disparaissaient de la surface de la Terre. L’absence de ces moteurs du progrès marquerait le début d’une régression, d’un retour vers la barbarie.

Sans la pensée et sans l’action des exaltés, l’humanité, telle un troupeau, n’aurait pas d’histoire. La première page de l’Histoire fut écrite quand le premier exalté fabriqua la première hache de pierre. La Science, l’Art, la Liberté sont l’œuvre du cerveau, des muscles et du sang de tous les exaltés.

Socrate, Jésus, Spartacus, Newton, Bakounine, Ferrer Guardia, Praxedis G. Guerrero (1), Margarita Ortega (2) : sublimes exaltés !

L’exalté Colomb renverse la théorie de la platitude de la Terre tandis que d’autres exaltés, les Gracques (3), affirment le droit de tout être humain à s’approprier la terre pour en tirer sa subsistance. Franklin domestique la foudre et Bruno tend audacieusement le bras à travers les étoiles pour attirer Dieu devant le tribunal de la Raison.

Sans les exaltés, l’humanité serait une eau stagnante grouillante de vers.

Sans les exaltés, l’Histoire écrirait ses dernières pages et jetterait le volume aux oubliettes.

Sans les exaltés, la machine à vapeur, le tramway électrique, le zeppelin, l’aéroplane, la télégraphie sans fil et le sous-marin continueraient à dormir dans les limbes de l’ignorance nourrie au sein des religions.

L’exalté déchire les ténèbres des superstitions et fait briller la vérité qui illumine le chemin conduisant à la Liberté et à la Justice.

Le monde avance grâce aux efforts des exaltés et il les paie avec les crachats, la prison et l’échafaud. Le sacrifice a toujours été récompensé par la moquerie et le martyre. Les personnes « décentes » ou « sensées » ne connaissent pas d’autre monnaie.

Ricardo Flores Magón : Los inquietos, de Regeneración numéro 240 du 8 juillet 1916.
Traduit de l’espagnol (Mexique) par Gia

Notes :
1 Praxedis G. Guerrero (1882-1910) : militant anarchiste mexicain ; il collabora, avec Ricardo Flores Magón, à la revue Regeneración.
2 Margarita Ortega (1871-1913) : militante anarchiste mexicaine, fusillée en 1913 après avoir été torturée.
3 Les « Gracques » est le nom donné à deux frères et hommes d’État romains, Tiberius Gracchus (né en 168 ou 163 av. J.-C.) et Caius Gracchus (né en 154 av. J.-C.), célèbres pour leur tentative infructueuse de réformer le système social romain.