Le fer et l’or

Mai 2015
dimanche 28 février 2016
par  Gia

L’eau charria un éclat d’or et une particule de fer, les déposant côte à côte au bord du ruisseau.

En voyant son voisin, l’Or se sentit blessé dans son orgueil aristocratique par cette velléité du destin qui avait voulu le placer à côté de ce métal méprisable.

- Éloigne-toi de moi, métal vulgaire ; ton contact m’avilit !

Le Fer méritant resta immobile, comme s’il n’avait rien entendu.

- Va-t-en, fer terne et sans éclat, car je suis l’Or ; ce splendide métal qui luit glorieusement sur la couronne du monarque ; qui brille comme une étoile sur les décorations du militaire ; qui resplendit lumineusement au cou exquis de la belle aristocrate. Je suis l’illustre métal qui ne connaît que le contact de mains distinguées ou la caresse de la soie des poches du Monsieur. Je suis l’Or : conquérant des volontés, rêve du pauvre, propriété du riche, maître du monde, dieu de l’humanité…

- Je me moque de ta grandeur, l’interrompit le Fer. Il n’y a aucune grandeur à ceindre le front du tyran, à décorer la poitrine de l’assassin professionnel ou à embellir la chair de la prostituée de haut rang. Ha, Ha, Ha ! Je me moque de ta vaine grandeur, métal prétentieux dont l’orgueil ne peut même pas se fonder sur le fait de servir de clou à un vieux soulier. L’humanité ne te doit que douleur, infortune, guerre… Je suis le Fer, l’obscur métal qui permet les bonnes récoltes ; le modeste métal sur lequel se fonde le progrès industriel. Je ne mets pas en valeur les charmes de la courtisane ; je ne décore pas la poitrine du militaire ; je ne suis pas caressé par des mains délicates ; je ne connais pas la douceur de la soie, mais quand le travailleur me saisit dans ses mains rudes, le monde se met en mouvement, le progrès se met en marche. Si je disparaissais, l’humanité sombrerait dans la barbarie et le monde ne serait que ténèbres. Je suis le Fer, ce modeste métal dont on fait le marteau, la houe, la machine, le chemin de fer.. vertèbres, tendons, muscles et artères de la civilisation et du progrès. Quand je brille sur la lame du poignard, le tyran se met à trembler ; la Liberté sourit quand je me présente sous la forme d’une bombe ; le cœur du prolétaire se remplit d’espoir quand il me caresse sur la gâchette du fusil vengeur. Fondement de la civilisation, promesse de liberté : voilà ce que je suis.

L’Or, humilié, se tut.

El Hierro y el Oro ( Regeneración numéro 209, du 23 octobre 1915).