Le fédéralisme libertaire.
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Le concept de fédéralisme est ambigu, dans la mesure où il peut désigner des réalités diamétralement opposées. Le fédéralisme étatique renvoie à une forme de domination politique dans laquelle un État central reconnaît un certain degré d’indépendance à des collectivités, dans le cadre d’une séparation des pouvoirs (c’est le cas , par exemple, des USA).
Il est évident que le fédéralisme libertaire n’a rien de commun avec ce fédéralisme étatique. Ce dernier désigne une forme d’organisation pyramidale dans laquelle le pouvoir se diffuse du sommet à la base. Le fédéralisme libertaire renvoie au contraire à une forme d’organisation horizontale, sans base ni sommet. Il ne prend sens que si on le réfère au concept d’autonomie.
Deux niveaux d’autonomie.
Le fédéralisme libertaire suppose d’abord l’autonomie des individus associés. Quand des individus s’associent, de façon provisoire ou pérenne, dans un cadre fédératif, chacunE garde son autonomie dans la mesure où l’association lui reconnaît le droit de se retirer à tout moment et de ne pas se soumettre aux décisions prises collectivement. A l’intérieur du groupe, chaque individu reste maître de ses décisions. Ce premier niveau d’autonomie est inscrit dans les principes de la CLA (consultables sur notre site) : Les militant-e-s de la CLA ne sont pas tenuEs d’appliquer les décisions avec lesquelles ils ou elles seraient en désaccord, mais n’y font pas obstacle.
Le second niveau d’autonomie concerne les groupes fédérés (collectivités, communes) qui s’associent en vue d’un but commun : la fédération reconnaît à chaque groupe sa pleine indépendance.
Les conditions du fédéralisme libertaire.
Pour que le fédéralisme libertaire soit possible, deux conditions sont nécessaires. En premier lieu, la démocratie directe : dans les collectivités, associations ou communes les décisions sont prises collectivement, en assemblée générale. Seconde condition : le mandat impératif. Lorsque les décisions doivent être prises au niveau fédéral, les déléguéEs n’ont aucun pouvoir : elles et ils doivent se contenter de porter les décisions de l’assemblée générale qui les a mandatéEs. Ces déléguéEs doivent être révocables à tout moment. Le fédéralisme libertaire rend impossible la délégation de pouvoir : en dernière instance, c’est toujours l’assemblée générale qui décide.
Le fédéralisme comme but et comme moyen.
Dans une société sans État, l’organisation fédérale, fondée sur la démocratie directe, permet les échanges entre les différentes collectivités et communes librement associées. Pour atteindre ce but, nous prônons une organisation des luttes qui esquisse une ébauche de la société que nous cherchons à construire. Mais cette forme d’organisation n’est pas l’apanage du mouvement libertaire. On la voit apparaître régulièrement et spontanément dans des mouvements sociaux, quand les individus veulent contrôler leur action sans se soumettre à des directions syndicales ou politiques. On peut perdre l’exemple de l’Assemblée Générale des Collectifs qui s’est mise en place en 2008. Dans le cadre de la lutte pour la défense de l’école, plusieurs collectifs ont vu le jour. A Ambérieu en Bugey, le collectif (constitué de personnels, d’élèves et de parents) se réunissait régulièrement en assemblée générale pour décider des actions à mener. Une liaison s’est établie entre les collectifs au niveau national. Elle a pris la forme d’assemblées générales nationales, où chaque collectif déléguait des personnes munies d’un mandat impératif. Or tous les individus qui participaient à ces collectifs n’étaient pas des libertaires, loin de là. Néanmoins, spontanément, une forme de fédéralisme libertaire - certes provisoire - se mettait en place. On peut donc en conclure que le mode d’organisation que nous prônons répond à un besoin réel et qu’il refait surface dès qu’une lutte se construit à la base.
La fragilité du fédéralisme.
Malgré ce qui précède, force est de constater que l’organisation fédéraliste est sans cesse menacée par la tentation de la délégation du pouvoir et qu’il faut une vigilance de tous les instants pour la maintenir. L’organisation fédéraliste peut être pervertie et ne garder de fédération que le nom. C’est le cas, par exemple, des organisations syndicales : les fédérations ne sont, la plupart du temps, que des directions qui s’imposent aux syndicats de base. La gangrène centralisatrice n’épargne pas les syndicats dits alternatifs. C’est ainsi que, lors du dernier congrès de la Fédération Sud éducation, deux tendances se sont opposées : l’une qui prônait un fédéralisme à part entière (la fédération n’étant que l’ensemble des syndicats qui la composent), l’autre cherchant à imposer une vision centralisatrice ( la fédération comme entité distincte de ses syndicats, avec une commission exécutive apte à prendre des initiatives sans consulter les syndicats). On voit donc que la mise en place et le maintien d’un véritable fédéralisme, dans la durée, suppose une implications de toutes et de tous afin d’éviter de tomber dans le piège de la délégation du pouvoir.