La surveillance des anarchistes

mercredi 19 septembre 2018
par  Gia

Dans les deux derniers numéros de l’Éclat, nous avions dressé le portrait de quelques trimardeurs catalogués comme anarchistes et traqués par la police. La liste est longue. Parcourons-la. On y voit des personnages, souvent marginaux, dont certains sont soupçonnés à tort d’appartenir au mouvement anarchiste. Parfois, ils s’en défendent. Par stratégie ? Sincèrement ? Rien ne permet de le savoir.

Belleville Antoine est né à Paris le 6 juillet 1848. On le surnomme le Comte de Belleville. Il a une verrue sous l’œil droit et s’est fait tatouer une croix de commandeur de la légion d’honneur sur la poitrine. Il est mécanicien et s’adonne à la boisson. Belleville est arrêté le 20 juillet 1894 à Villebois pour avoir fait l’apologie de l’assassinat de Sadi Carnot. En parlant de Casimir Périer, il proclame : « le nouveau président de la république y passera dans un mois, comme l’autre, pas par le poignard mais par la dynamite ». Il est détenu à Belley. Le 20 août 1894, il bénéficie d’une ordonnance de non-lieu et se dirige vers les Échelles, en Savoie. En 1896, il traverse plusieurs communes de l’Ain. Il commence par chercher du travail, se disant mécanicien, tailleur, voyageur de commerce, prêtre ou instituteur révoqué. Puis, ne trouvant rien, il pratique la mendicité. Le 31 mai 1900, il est arrêté à Bourg-en-Bresse en compagnie de Vardon Victor-Vincent (né à Paris le 26 janvier 1879), manœuvre sans travail. Plusieurs inculpations à leur actif : vagabondage, mendicité, tapage nocturne. Le 4 mars 1902, il est condamné à 4 mois de prison à Trévoux. Le 8 mars 1904, il est écroué à Nantua pour vagabondage. On le signale ensuite, cherchant du travail (à 56 ans), dans différentes communes : Labalme, Cerdon, Mérignat, Jujurieux, Saint Jean le Vieux, Ambronay et Ambérieu.

Espanet Joseph Charles Louis est né à Marseille le 15 novembre 1867. Il est le fils d’une artiste lyrique (Marie Loutz). De taille moyenne, maigre, le visage orné d’une petite moustache, il se dit électricien mais atteint d’une maladie qui l’empêche d’exercer. Tantôt chanteur ambulant, tantôt colporteur, il vend du papier à lettres. En octobre 1895, on le signale à Bellegarde accompagné par une artiste lyrique, Julia Louis. Le 6 août 1898, à Gex, il vend une brochure intitulée « Testament authentique de Dreyfus ». Le 2 novembre de la même année, il vend des pâtisseries à la foire de Collonges. On le signale aussi vendant des plaques de métal ayant la propriété de rendre les lampes incassables. On le surveille comme anarchiste, mais les rapports de gendarmerie constatent que, partout où il passe, il ne tient aucun propos en relation avec l’anarchisme.

Frumence Louis Réné, dit le Petit Coiffeur, est né le 9 mars 1869 à Nantes. Il demeure à Lyon, rue Moncey. Du 22 août au 22 septembre 1896, il séjourne à Tenay, chez Gaillard, coiffeur comme lui. Il le remplace pendant un mois car celui-ci est soldat réserviste et accomplit une période d’exercices militaires de 28 jours. Frumence fait partie du groupe anarchiste de Lyon. La police le juge sournois et dangereux. Lors d’une perquisition à son domicile, le 11 avril 1894, on trouve un poignard et des journaux anarchistes. Il a été arrêté à plusieurs reprises pour association de malfaiteurs, mais n’a pas subi de condamnation.

Philippot Anthelme est probablement né en 1862 (un rapport de police lui attribue 27 ans en 1889). 1m 58, cheveux châtains, longues moustaches, yeux gris, visage ovale et menton rond : la fiche signalétique est assez précise. Le 27 décembre 1884, il est déclaré déserteur du 4ème régiment de chasseurs à cheval. On le cherche en vain à Bourg-en-Bresse et à Belley (chez sa mère). On pense qu’il s’est réfugié à Lyon, chez son frère. Mais il reste introuvable. Selon un rapport de la police de Bourg-en-Bresse daté du 14 mars 1888, Philippot et un autre anarchiste (Bordat), réfugié en Suisse comme lui se seraient rendus à deux reprises à Prévessin chez un compagnon d’apprentissage, Paget François. Celui-ci réside au hameau de Véségnin (Prévessin). Malade du cœur, doux de caractère, estimé de tous et s’occupant peu de politique, il prétend ne pas partager les opinions de ses anciens compagnons. Il n’aurait pas terminé son engagement lorsqu’il était apprenti car il éprouvait trop de contrariété en entendant dans l’atelier de « semblables doctrines ». A Prévessin, Bordat et Philippot exposent les théories anarchistes aux ouvriers dans le cabaret de Véségnin tenu par Philippe Gabriel, apparemment sans effet. Philippot bénéficie de la loi d’amnistie du 19 juillet 1889 qui accorde un délai de trois mois pour se présenter à l’autorité militaire. Le 29 août 1889, la police de Bellegarde signale un placard rédigé en français et en allemand dont certains exemplaires ont été affichés en Suisse. Il est imprimé à Paris chez Grave. On soupçonne Philippot de l’avoir introduit dans la ville. Un rapport de la gendarmerie de Belley, daté du 10 septembre 1889 le signale comme anarchiste expulsé de Suisse et réfugié dans la ville. Il y serait venu pour passer deux jours de fête en famille et en a profité pour faire régulariser sa situation car il bénéficie d’une amnistie accordée aux déserteurs mariés et pères de famille. Le 10 septembre 1889, il repart à Carouges (Suisse) pour habiter chez Guerbe (fabricant de biscuits).