La fonction publique dans l’Ain
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La jungle de la fonction publique au service de qui ?
Pour rédiger cet article sur le secteur public dans l’Ain, nous nous sommes heurtés à quelques difficultés : impossible d’avoir un schéma clair des différentes structures existantes, très peu de chiffres précis sur les effectifs et aucune indication sur l’impact économique de leurs activités. Ce qui n’est pas sans incidence sur l’analyse politique que l’on peut avoir sur les services publics dans le fonctionnement de la société française et encore moins comprendre l’intérêt de la réforme des services publics en cours. Même si l’on se doute bien que supprimer une école ou regrouper des services hospitaliers a forcément un impact économique, comment et à partir de quoi le mesure-t-on ? Mais commençons par rappeler le cadre général dans lequel s’inscrit l’administration d’État dans l’Ain pour tenter de comprendre ce qui se passe.
La fonction publique, comment ça marche ?
Il convient de définir cette nébuleuse qu’on appelle fonction publique selon les termes employés par les services de l’INSEE (organisme officiel de statistiques globales sur la société française) : « c’est l’ensemble des agents occupant les emplois permanents de l’État, des collectivités territoriales et de certains établissements publics hospitaliers ».
Il existe trois branches distinctes dans la fonction publique : celle d’État, la Territoriale et l’Hospitalière auxquelles il faut ajouter la « fonction Militaire », vaste machine avec un statut et un rôle spécifique dans le domaine de l’économie et de la politique.
Certain-e-s agent-e-s sont titulaires, d’autres sont employé-e-s par contrats à durée indéterminée, temporaires ou en « emplois aidés ». Ils travaillent pour l’administration centrale ou pour les services déconcentrés (à l’échelon régional ou départemental ou encore au sein d’établissements ayant une mission de service public (organismes de sécurité sociale, établissements d’enseignement, de recherche …). A cela il faut ajouter les effectifs des Établissements Publics Administratifs (EPA) relevant de l’État (Pôle-emploi, BNF, ENA, ..) ceux des Établissements Publics Industriels et Commerciaux (EPIC) et les privatisés tels que France Telecom, qui compte encore de nombreux employés de l’État. Ajoutons à tout cela les agent-e-s de la Territoriale qui gèrent les communes, les intercommunalités et les syndicats type SIVU, SIVOM, ainsi que tous les services diplomatiques et représentations internationales. Nous commençons à entrevoir que le terme jungle n’est peut-être pas trop fort lorsque l’on essaie de cerner ce qu’est la fonction publique..
Selon l’INSEE elle-même « il est difficile de déterminer précisément les effectifs de la fonction publique d’État car d’importantes fonctions de service public sont remplies par des établissements relevant de l’État sous des formes variables difficiles à recenser ». Pour la Territoriale et l’Hospitalière les chiffres semblent un peu plus précis mais …on ne peut parler que de « grandes masses de fonctionnaires ». Un foutoir qui n’en doutons pas ne doit rien au hasard puisque dans l’économie privée tout aussi complexe, nous avons accès aux chiffres d’affaires, à la rentabilité, au nombre de salarié-es, secteur par secteur, département par département, voire entreprise par entreprise. L’opacité des structures publiques relève bien d’une stratégie politique permettant au pouvoir d’État différentes manipulations selon des intérêts politiciens particuliers mais cela vise aussi à entretenir des divisions et clivages faisant le bonheur des bureaucraties et une complexité qui rend plus difficile une conscience et une action collective des fonctionnaires face à leur État patron.
Ajoutons pour terminer le tableau qu’à cette hiérarchie des structures se superpose une hiérarchie des fonctions avec trois classes principales : la catégorie A regroupant les cadres supérieurs, la B des petits cadres et agents de maîtrise, la C comprenant la grande masse des employé-es et ouvrier-es. Et nous vous épargnons toutes les catégories intermédiaires qui font les choux gras des plans de carrière, des mutations, des jalousies, rivalités et coups tordus entre collègues.
Dans ces conditions comment s’étonner que le secteur public soit expert en syndicalisme corporatif, avec ses permanents syndicaux carriéristes et un partage des secteurs professionnels entre les différents syndicats ?
Quelques chiffres
Il nous a été impossible d’avoir accès à des chiffres précis et détaillés concernant le département de l’Ain et pourtant ces chiffres existent sûrement quelque part. Pour l’année 2008, l’INSEE donne pour les employé-e-s titulaires les chiffres suivants : 12284 dans la fonction publique d’État, 11752 dans la Territoriale et 4708 dans l’Hospitalière dont 55% de femmes. Aucun chiffre pour les militaires.
Pour la Territoriale l’INSEE annonce les pourcentages d’emploi suivants : 62% dans les communes, 10 % dans les intercommunalités, 11% au Conseil Général, 0,8% pour le Conseil Régional, les 16,2% restant étant répartis entre les CCAS, office public d’HLM, SIVU, SIVOM, etc…
Nous savons qu’il existe un nombre important de précaires dans tous les secteurs publics, beaucoup de salaires proches et même en dessous du SMIC mais pas de statistiques accessibles facilement pour un non spécialiste. Élément pourtant important, nous n’avons pas trouvé d’analyse économique permettant d’apprécier le rôle et l’importance de la fonction publique dans la production de la richesse nationale, comme si la fonction publique n’avait, en économie, qu’une seule face : le coût ! La fonction publique ne rapporterait-elle rien à notre société ? Est-ce impossible à chiffrer ou ne veut-on pas le faire savoir ? Poser la question c’est trouver la réponse.
L’État, employeur et donc patron, peut à sa guise et selon des stratégies politiques partisanes, décider qu’il y a trop ou pas assez de personnel dans tel secteur, s’arranger pour qu’il y ait un « trou » dans les caisses de la sécurité sociale et des retraites, ou trop d’argent mis dans l’éducation et crier au scandale, montrer du doigt les fonctionnaires, faire valoir la conjoncture internationale et la loi des marchés financiers. Mais où est l’analyse économique de fond sur la rentabilité réelle des services publics ? Selon quels critères l’éducation publique doit-elle être rentable ? Qu’est-ce que c’est que la rentabilité d’une route communale, d’un hôpital ou de Pôle Emploi ?
Circulez, y a rien à voir est la seule réponse de l’État. Et les paquets d’économistes qui gravitent autour des partis de gouvernement et des syndicats dits représentatifs n’ont jusqu’à maintenant pas beaucoup vulgarisé ni informé les « citoyen-ne-s » sur les richesses produites par le travail des salarié-e-s de la fonction publique. Ce qui pourrait pourtant changer le regard et l’attitude de beaucoup et commencer à rompre cet antagonisme public/privé savamment entretenu.
La liquidation des services publics
Depuis une vingtaine d’années les gouvernements de droite comme de gauche ne cessent de marteler qu’il faut réduire les dépenses de fonctionnement de l’État car nous sommes trop endettés et honte à nous, nos arrières petits enfants le paieront encore ! Depuis 2007, il y a une nette accélération de ce processus avec la mise en œuvre de la RGPP (Révision Générale des politiques Publiques). La solution miracle préconisée est de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Dans la pratique, les économies ne sont pas vraiment au rendez-vous pour différentes raisons, entre autres parce que les transferts de compétences de l’État vers les régions, les départements et les intercommunalités ont vu des transferts de personnel et même des embauches supplémentaires. Les pistes sont brouillées.
Par ailleurs, la restructuration des administrations voulue pour rationaliser les services et faire des économies a fait disparaître des tribunaux, des sous-préfectures, des bases militaires, réduit à une peau de chagrin les services de l’équipement gérant les infrastructures routières. L’enseignement public est miné par une stratégie qui, sous couvert d’autonomisation des universités, lycées et collèges, débouche sur des méthodes de gestion industrielle de l’éducation avec évaluation des élèves et des professeur-es par leurs patron-ne-s sur des critères plus que subjectifs. La politique hospitalière, tout axée sur la rentabilité, voit des hôpitaux fermés et des services entiers disparaître et les personnels soumis à des rythmes de travail proches de la rupture de la continuité du service public.
Le système Sarkozy qui applique à la lettre cette logique ultra libérale n’a fait pourtant qu’augmenter très largement la dette « nationale » et l’on s’aperçoit bien qu’il ne s’agit que d’une politique de classe visant à soumettre le monde du travail afin que les profits des détenteurs de capitaux soient assurés d’une croissance sur le long terme.
Et nous ne sommes pas au bout de ces réformes équivalent à une liquidation des services publics en bonne et due forme pour arriver à un service au public dans lequel s’engouffrent des entreprises privées censées rendre le même service à moindre coût. Des économies ? Sur le long terme rien n’est moins sûr. Mais pour les usager-ères (devenu-e-s des client-e-s) qui voient les services de moins en moins bien rendus et qui doivent en supporter des coûts supplémentaires en termes d’impôts locaux, où est le gain ?
En effet des réformes fiscales importantes ont eu lieu simultanément, visant à réduire les « charges » à payer par les entreprises privées pour les rendre plus « compétitives » avec à la clé des manques à gagner importants pour les collectivités qui doivent soit réduire les services, soit augmenter les impôts. Par exemple dans l’Ain, les transports scolaires gratuits sont pointés du doigt par l’opposition de droite du Conseil Général avec un silence étrange de la majorité de gauche coincée par des restrictions budgétaires. A coup sûr, le principe de gratuité de l’accès à l’éducation va encore être égratigné d’ici deux à trois ans.
L’avenir s’annonce brillant puisqu’en 2014 la clause de compétence générale des départements et des régions va sans doute disparaître, ce qui va entraîner des spécialisations dans des domaines précis (le social, les routes, l’école,…) et une modification des subventions aux communes tendant à privilégier l’intercommunalité. Nous pouvons nous attendre à pas mal d’embrouilles et, sous couvert de mutualisation des moyens, cela se traduira souvent par une perte de pouvoir décisionnel pour les structures de base que sont les communes, surtout pour les plus petites. Et il y a peu de chance que cette logique soit radicalement remise en cause si la gauche « gagne » les élections de 2012..
Quelles perspectives ?
Les anarchistes étant des individus éminemment constructifs, ont toujours proposé des perspectives tendant vers « un autre futur » comme l’ont si joliment dit nos camarades anarcho-syndicalistes espagnols.
Mais comme ce n’est pas l’objet de cet article nous nous contenterons de rappeler que nous sommes pour une société qui pose le principe d’une organisation économique devant partir des besoins humains et que la production doit s’organiser en conséquence. A l’évidence, ce n’est pas ce qui se fait aujourd’hui puisque tout ce que nous voyons et subissons montre que n’aura accès à la santé, à l’éducation, aux vacances et autres choses que celui /celle qui aura le pognon !