L’action directe.
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Si l’on cherche une définition simple et efficace de l’action directe, il suffit de se reporter à un texte court publié par Émile Pouget en 1904 (L’action directe) : l’action directe est une notion d’une telle clarté, d’une si évidente simplicité, qu’elle se définit et s’explique par son propre énoncé. Elle signifie que la classe ouvrière, en réaction constante contre le milieu actuel, n’attend rien des hommes, des puissances ou des forces extérieures à elle, mais qu’elle crée ses propres conditions de lutte et puise en soi ses moyens d’action. Elle signifie que, contre la société actuelle qui ne connaît que le citoyen, se dresse désormais le producteur. Certes, les formulations employées par Pouget sont étroitement liées à une période révolue de l’histoire du mouvement ouvrier ( l’action directe est caractérisée comme symbolisation du syndicalisme agissant). La définition qu’il nous propose peut néanmoins nous permettre de réactualiser un concept dont l’efficacité pratique est indéniable.
Action directe et autonomie prolétarienne.
La première modification que l’on peut faire subir à la définition proposée par Pouget consiste à l’étendre au prolétariat, tel que nous l’avons défini dans le numéro 7 de l’Éclat, et plus seulement aux producteurs. L’action directe renvoie à l’ensemble des pratiques par lesquelles celles et ceux qui ne possèdent que leur force de travail et n’occupent aucune fonction hiérarchique ou répressive dans l’ordre social actuel se donnent leurs propres règles, s’auto-organisent et agissent sans rien attendre d’une autorité extérieure. La forme la plus ancienne de l’auto-organisation du prolétariat reste la structure syndicale. Dans ce cadre, prôner l’action directe consiste d’abord à s’opposer à toute délégation de pouvoir à l’intérieur du syndicat. La constitution d’une syndicratie qui négocie avec les patrons ou avec l’État au nom des prolétaires, la professionnalisation de permanents syndicaux sont autant d’obstacles à l’action directe. De plus, le syndicat ne doit pas être conçu comme une institution fétichisée, mais comme un simple moyen (parmi d’autres) permettant de favoriser l’auto-organisation des luttes. Dans toute action, c’est l’assemblée générale de base qui doit décider de la forme et des objectifs à donner à la lutte. Les militantEs des syndicats ne doivent pas chercher à diriger ces actions ou à recruter des adhérentEs, mais à favoriser la prise en main des luttes par celles et ceux qui la mènent, en s’opposant à toute confiscation du pouvoir par un groupe ou un individu. Parfois même, le syndicat doit savoir s’effacer et se mettre en retrait quand d’autres formes d’organisation s’avèrent plus efficaces, à un moment donné. Ce fut le cas, par exemple, en 2009 lors de la constitution du Collectif Départemental pour la Grève Générale.
Action directe et citoyennisme.
Il est donc évident que l’action directe est à l’opposé de toute forme de citoyennisme. Celui-ci renvoie toujours à l’action indirecte et consiste à s’adresser aux éluEs pour quémander leur intervention. Une des dérives les plus évidentes du syndicalisme institutionnalisé se manifeste dans l’abandon de l’action directe au profit du lobbyisme politique. Quel lamentable spectacle que celui que nous ont offert les directions de FO et de la CGT au lendemain de la signature de l’ANI par le MEDEF et des syndicats jaunes ! Renonçant à la lutte, Bernard Thibaut (encore patron- et le terme est juste- de la CGT) déclarait qu’il s’agissait de convaincre les députés de ne pas entériner cet accord par la loi. Après avoir, plus ou moins ouvertement appelé à voter pour les sociaux démocrates, le patron syndicrate s’étonne (ou fait semblant de s’étonner) de voir ce gouvernement agir au service des patrons. Appelle-t-il à la grève générale ? Certes non : il suffit d’implorer les élus de gauche, avec le résultat que l’on sait. C’est dans ce genre de situation que le syndicalisme intégré montre son vrai visage : celui d’un allié du patronat et de l’État, en grande partie responsable des échecs subis par le prolétariat. Comme l’écrivait Voltairine de Cleyre en 1912 (De l’action directe) : la foi aveugle en l’action indirecte, en l’action politique, a des conséquences bien plus graves : elle détruit tout sens de l’initiative, étouffe l’esprit de révolte individuelle, apprend aux gens à se reposer sur quelqu’un d’autre afin qu’il fasse pour eux ce qu’ils devraient faire eux-mêmes.
L’action directe sous toutes ses formes.
L’action directe a son origine sur le terrain syndical : c’est l’action syndicale indemne de tout alliage (…) sans aucun des tampons qui amortissent les chocs entre les belligérants (…) sans compromissions capitalistes, sans les acoquinades avec les patrons que rêvent les thuriféraires de la PAIX SOCIALE (E. Pouget). En ce sens, sa forme la plus achevée reste la grève générale expropriatrice. On peut cependant envisager différents types d’action directe. L’appropriation collective de terres agricoles par les habitantEs de Marinaleda (province de Séville), l’occupation de terrains pour s’opposer à la construction de l’aéroport de Notre Dame des Landes ou du stade de Décines, la réquisition de l’ancien siège de l’ADAPEI à Bourg-en Bresse par le collectif de soutien aux migrants : autant de formes d’action directe qui dépassent le cadre strictement syndical. Toute personne qui a pensé, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie, avoir le droit de protester, et a pris son courage à deux mains pour le faire ; toute personne qui a revendiqué un droit, seule ou avec d’autres, a pratiqué l’action directe ( Voltairine de Cleyre).
A lire :
Émile Pouget : L’action directe (Le flibustier)- Voltairine de Cleyre : De l’action directe (Le passager clandestin)