Implantation et structuration croissante de l’extrême-droite dans l’Ain
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On peut, à l’instar de nombreux endroits, en France assister à un triple phénomène participant d’une même logique visant à la banalisation et à l’institutionnalisation de l’extrême-droite dans toutes les strates du champ politique traditionnel ( parti national électoraliste, sections agissantes organisées localement et militants de rue) :
sur la sphère électoraliste, avec le rassemblement bleu marine se construisant sur le sillon idéologique du printemps français et de la manif pour tous, et le démarchage des élus locaux de tous bords ou sans étiquette ;
sur l’implantation locale, avec l’apparition croissante de collages FN, FNJ, GUD laissant penser à un phénomène de constitution de sections locales éventuelles ;
l’existence et le risque d’apparition accrue des groupuscules déjà présents dans l’Ain, nationalistes ou identitaires en construction (dont les membres semblent assez jeunes). Ceux-ci sont notamment présents dans tous les petits villages entre Ambérieu et Rilleux-la-Pape, en passant par Meximieux, Lagnieu ou la Plaine de l’Ain. Ce sont des lieux où lors de la dernière année, on peut relater des faits tels que : agressions et prise de possession momentanée d’un bar, attaque et dégradations à caractère raciste de la Mosquée de Meximieux, rassemblements assez nombreux et tentative de prendre progressivement la rue en faisant régner la terreur, dans le sillage de ce qui se passe à Lyon. Un jeune camarade libertaire proche de la CLA a d’ailleurs subi des intimidations du côté de Montluel. Autour d’ Oyonnax également, on note une présence globalement structurée de l’extrême-droite : en effet on voit se multiplier les collages, mais on discerne une pratique assez routinière laissant penser à une section plus âgée, ancienne et implantée. Il y a également une présence importante de fachos sur le Nord Isère, notamment identitaires.
Par delà ces phénomènes ou incidents locaux, il faut considérer l’existence relativement ancienne et méconnue de nombreux et divers lieux de socialisation ou structures collectives dans lesquels sont véhiculés sans prosélytisme théorique apparent les aspects fascistes vulgarisés ou corporatistes participant de cette proximité de pensée (casernes, police, matons, certaines sociétés de chasse, boules, pêche, sport, bars). La fréquentation de ces lieux par des fachos aboutit à une sorte de doxa de groupe épurée, censée homogénéiser à la base les considérations admises et valorisées par le groupe comme le meilleur moyen de les affermir. La socialisation familiale joue certainement aussi très bien son rôle ; ainsi la proximité idéologique, la naturalité perçue du phénomène identitaire combinée à l’effet de groupe permet d’opérer une fascisation de la pensée, qui officie comme préalable à l’ adhésion progressive à la pensée strictement fasciste. Ce sont bien plus ces lieux qui popularisent les idées nationalistes et totalitaires que le programme économique du FN !
Mais ne nous en laissons pas compter ; car plus que de seulement dénicher ceux qui se revendiquent ouvertement fachos, c’est bien lutter contre l’idéologie sur laquelle repose ce courant politique qui est nécessaire, et le faire en tenant compte désormais de la porosité du champ politique avec leurs thèmes de prédilection. Nous nous méprendrions si nous considérions a priori de facto la majeure partie de la population comme hostile aux thèses frontistes pour des considérations morales.
A titre d’illustration récente de leur ambition décomplexée, dans le cadre de la mobilisation au sein du Collectif Solidarité Migrants autour de la question des demandeurs d’asile se tenait le 25 juin une audience au Tribunal de Bourg-en-Bresse statuant sur l’expulsion des garages qu’occupaient 17 familles kosovars et albanaises depuis plusieurs mois. Les propriétaires privés ayant déposé plainte tout comme le syndicat des propriétaires et la mairie de Bourg, ont été soutenus par différents fachos du coin dont le FN, assez nombreux. Il est très rare que ces-derniers s’insèrent dans des luttes sociales, sauf pour défendre la propriété privée contre le droit à survivre, la non-application de la loi en matière de droit (d’asile en l’occurrence), et bien sûr l’attaque des étrangers. Très véhéments, ils ont menacé de passer à l’action pour faire évoluer la situation ; cela probablement à l’encontre des demandeurs d’asile ou de leurs soutiens à l’issue de la prochaine audience.
Le jeudi 4 juillet, cela ne s’est pas passé grâce à la mobilisation réactive la plus large possible. Les fachos ont laissé la place aux RG et autres flics en civils épiant tout ou photographiant les soutiens présents au tribunal. Mais n’est-ce pas d’ailleurs également une vision des prémisses du fascisme d’État (complémentaire) ?
Il y a nécessité de s’opposer à l’extrême-droite partout, dans la rue, dans les consciences et dans le jeu politique (électoral et médiatique), mais également partout où se dévoilent ses aspects symptomatiques. Mais pas de manière mécanique ou sous-couvert de justifications morales. Car on peut constater que c’est moins l’évolution des thèses de l’extrême-droite que la manière dont ils les présentent qui leur a permis cette tendance favorable, l’audience étant favorisée par le contexte économique et social. Et surtout que le modèle de société autoritaire/totalitaire s’imposant de plus en plus sournoisement dans l’appareil d’État comme garant de la sécurité des biens et de la préservation idéologique du système capitaliste tend à rendre banales exploitation et répression. Il est donc urgent de renouveler les formes du militantisme collectif « progressiste » pour le rendre à nouveau populaire, imprévisible, radical alternatif et positif. Sans peur et sans complexe, mais aussi massif, car c’est la clef de la pertinence d’une autre société, qui devra autant être construite sur les ruines du capitalisme que nécessairement sur les cendres du fascisme...