De l’autonomie.

mardi 14 juin 2016
par  Gia

Souvent confondu avec l’indépendance, le concept d’autonomie peut renvoyer à deux conceptions diamétralement opposées.

La première, intimement liée au dualisme, trouve son expression la plus claire dans la philosophie de Kant : « L’autonomie de la volonté est cette propriété qu’a la volonté d’être à elle-même sa propre loi. » (Fondements de la métaphysique des mœurs). Cette loi que la volonté se donne à elle-même se confondrait avec la loi morale et s’opposerait à l’hétéronomie qui renverrait à la dépendance à l’égard des mobiles sensibles et -plus particulièrement- des désirs corporels. Le champ dans lequel s’inscrit cette vision de l’autonomie se révèle totalement incompatible avec les principes de base de l’anarchisme. En effet, il présuppose une morale contraignante par laquelle la volonté (conçue comme une faculté indépendante) imposerait sa loi à la sensibilité.

Il semble cependant utile de conserver le concept d’autonomie en le débarrassant de son fatras métaphysique et de l’illusion du libre arbitre qui en est la conséquence inévitable. Pour cela, on peut s’inspirer de la définition qu’en donne Daniel Colson dans son Petit lexique philosophique de l’anarchisme : « ...l’autonomie anarchiste renvoie aux forces constitutives des êtres, à leur capacité à développer en eux-mêmes la totalité des ressources dont ils ont besoin pour 1) affirmer leur existence, 2) s’associer à d’autres, et constituer ainsi une force de vie toujours plus puissante. ».

Plus simplement, l’autonomie désigne ici la capacité des êtres à augmenter leur puissance d’agir.

Dans une perspective libertaire, deux dimensions de l’autonomie peuvent attirer notre attention : l’autonomie prolétarienne et l’autonomie des individus.

L’autonomie prolétarienne se pose d’emblée comme un concept ambigu dans la mesure où elle ne peut être affirmation de soi, mais affirmation de sa propre négation. Dans le numéro 7 de l’Éclat (Janvier 2013), nous avions proposé cette définition du prolétariat : « le prolétariat désigne la classe de celles et ceux qui ne possèdent que leur force de travail pour survivre et qui n’exercent aucun pouvoir décisionnaire ou hiérarchique dans le maintien du système capitaliste. ». L’essence du prolétariat est nécessairement négative : cette classe, lorsqu’elle vise l’abolition du capitalisme, ne peut le faire qu’en se détruisant elle-même en abolissant toutes les classes.

On peut néanmoins distinguer deux moments dans l’existence de cette classe. Dans le cadre de l’exploitation capitaliste et de la domination étatique, le prolétariat est autonome quand il se donne sa propre forme d’organisation. Ici, l’autonomie peut se réduire à l’indépendance à l’égard des forces extérieures visant à renforcer l’aliénation : soumission aux partis, aux bureaucraties syndicales, à toutes les instances qui conduisent à perpétuer cette aliénation. Dans ce moment de la lutte anticapitaliste, le prolétariat est autonome quand il invente des formes d’action directe. Si le principe de l’autonomie prolétarienne semble clair, il soulève néanmoins des problèmes pratiques qu’on se contentera ici de formuler :

- Comment concilier autonomie prolétarienne et action syndicale ? Autrement dit :peut-on construire un syndicalisme d’autonomie prolétarienne ? Est-ce possible dans le cadre des organisations syndicales actuelles (dont la compromission avec le pouvoir, en tant que « partenaires sociaux » se révèle de plus en plus évidente) ?

- L’autonomie prolétarienne peut-elle se réaliser dans les différents collectifs qui fleurissent régulièrement ? Ces collectifs, même lorsqu’ils sont issus de mouvements spontanés, sont-ils condamnés à s’enfermer dans le citoyennisme ?

Par ailleurs, l’autonomie prolétarienne ne peut être vécue que de façon négative : elle ne peut conduire à l’affirmation de soi du prolétariat, mais à la nécessité de sa disparition. On peut ici reprendre la formule de Marx dans Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel : le prolétariat est « un ordre qui est la dissolution de tous les ordres » (traduction : Maximilien Rubel) Dans le moment révolutionnaire (s’il voit le jour) il ne s’agira nullement d’instaurer un quelconque « pouvoir prolétarien » mais bien de supprimer toute forme d’exploitation et de domination et, par là même, d’abolir le prolétariat pour constituer une société d’individus libres et égaux. C’est alors que l’autonomie des individus, conçue comme affirmation totale de la puissance de tous les individus, pourra se réaliser pleinement.