Brand alias Arrigoni, Mémoires recueillies par Paul Avrich (3).

Octobre 2015
dimanche 28 février 2016
par  Rep

Brand alias Arrigoni, Mémoires recueillies par Paul Avrich (3).

Cette interview a été publiée en juillet 1996, en Italie, dans le n° 7 de « Leggere l’anarchia » du bulletin diffusé par le Centre d’Etudes Libertaires Giuseppe Pinelli de Milan.

Il s’agit d’un anarchiste individualiste, toujours présent au milieu des batailles politiques et sociales de la majeure partie du XXème siècle et à travers le monde entier. Sa conception de l’individualisme se différenciait sur différents aspects d’avec celle du poète futuriste « Novatore » (Abele Ricieri Ferrari dit Renzo Novatore 1890-1922), mais comme l’explique Arrigoni dans la dernière partie de l’interview, dans l’anarchisme il n’existe pas d’évangiles à suivre ni de dogmes à respecter. L’important, c’est de suivre son cœur et son cerveau, et résister et lutter. Toujours et de toutes les manières.

Par soucis d’information, le traducteur a donné, en italique, quelques précisions sur les noms des personnes citées.

Dans les deux précédents articles nous avons pu suivre l’enfance puis l’adolescence de Enrico Arrigoni, sa découverte de l’anarchisme à travers différentes lectures et au contact de camarades, tout ceci juste avant la première guerre mondiale.

Pendant le conflit il participe à diverses grèves où il est inquiété. Il part d’Italie et passe par la Suisse, l’Allemagne, les Pays-Bas, de nouveau l’Allemagne où il participe à la révolution spartakiste. Fin 1918, il est en Russie, mais comme prisonnier de guerre.

C’était le début de 1919. Nous n’avions pas de papiers, nous avons été arrêtés à Moscou par la Tchéka, qui pensait que nous étions des espions.. Moi, je me suis souvenu de la « Balabanova » (Angelica), qui avait séjourné en Italie, et j’ai demandé à la rencontrer. Il a suffi que je cite son nom, et comme par magie nous avons immédiatement été relâchés. Pendant que nous étions là-bas, en Russie, la Troisième Internationale avait vu le jour (mars 1919), et A. Balabanova en était la secrétaire. Elle nous a accueillis avec cordialité (elle aimait l’Italie et les Italiens) et elle nous a aidés à quitter la pays. Elle était déjà déçue par le régime bolchevique et elle était très pessimiste sur le destin de la révolution. Elle nous a envoyés en Italie comme porteurs de courriers, avec des documents de l’Internationale, en nous faisant passer pour des prisonniers de guerre hongrois à rapatrier. Nous sommes arrivés à Budapest juste à temps pour connaître la révolution de Bela Kun. C’était pour nous une surprise totale. Nous avons rencontré Kun en personne et nous lui avons montré les documents de l’Internationale. Puis nous avons rejoint Vienne et nous nous sommes rendus au consulat italien, déclarant être des prisonniers italiens de Hongrie. Ainsi, nous sommes retournés en Italie comme des héros et non comme des déserteurs ! Une fois à Milan, j’ai dû rester caché pendant quatre mois parce que là-bas j’étais recherché comme déserteur. Je suis retourné à Berlin pendant six mois où, pour vivre, j’enseignais l’italien à la Berlitz School. Je suis allé voir Rudolf Rocker (1) qui m’a aidé à rejoindre Paris, où je suis resté un peu plus d’un an, puis j’ai déménagé en Espagne. Là, j’ai travaillé quelque temps dans une usine à Barcelone (c’était en 1920), mais j’ai eu des problèmes avec la police et j’ai embarqué clandestinement sur un navire à destination de l’Argentine. A Buenos Aires je suis resté un an et demi ; j’étais ouvrier et charpentier (1920-1921). Pendant cinq mois j’ai partagé un logement avec (Diego Abad de) Santillán, mon compagnon de travail, plus jeune de trois ans. Je suis entré à la rédaction de La Protesta(2). Quand je suis en Argentine je retourne toujours voir les rédacteurs. Un jour, un camarade allemand dont le nom était Wilckens s’est joint à nous ; il avait été expulsé des États-Unis (plus tard Wilckens a tiré sur le chef de la police de Buenos Aires et Santillán s’est distingué dans la guerre civile espagnole). La Protesta a envoyé Santillán à Berlin comme correspondant. Il a appris l’allemand, il s’est lié d’amitié avec Rudolf Rocker et il a épousé la fille de Fritz Kater (3), qui est encore avec lui à Buenos Aires. J’informai Wilkens, qui travaillait comme expéditionnaire au port, que je désirais aller aux États-Unis, et il a réussi à me cacher sur un navire marchand anglais qui m’a débarqué à Tampico (4). C’était en 1921. J’ai traversé le Rio Grande à pieds et je suis entré aux États-Unis. Mais j’ai été pris, mis en prison pendant sept mois, puis expédié à New-York par les Autorités de l’Immigration qui m’ont expulsé en me renvoyant en Italie en tant qu’immigrant illégal (octobre 1922). En Italie (on était dans les jours de l’ascension au pouvoir de Mussolini) je devais encore purger une condamnation à dix-sept mois de prison. J’ai sauté du navire à Palerme et par différents moyens j’ai réussi à rejoindre Rome, au moment où Malatesta publiait Umanità Nova. Il m’a aidé à traverser la frontière pour me réfugier en France. Je suis resté à Paris jusqu’en 1924, puis pendant plusieurs mois j’ai séjourné à Cuba (j’écrivais dans un journal anarchiste de La Havane avec le pseudonyme de « Brand »). Sur un navire marchand allemand, j’ai rejoint New-Orleans : c’était ma seconde entrée clandestine aux États-Unis. Je suis resté illégalement à New York de 1924 à 1928, puis je suis rentré à Paris.

Octobre 2015