« Avant l’extinction, saisir l’occasion »
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La mobilisation des Gilets Jaunes est immense : pour le pouvoir d’achat et contre les taxes (toutes confondues visiblement) mais aussi contre les gays, les noires, les musulmans, les migrants et même contre ceux qu’il prétendent défendre1. Elle est sans précédent dans le sens où elle agglutine des revendications sociales (pour certaines très justes) mais aussi un tas de revendications identitaires (pour certaines très brunes). Nul doute, le 17 novembre 2018 a marqué les esprits et attisé les consciences.
Le 17 novembre était aussi le jour d’une autre mobilisation mais bien éloignée des intérêts de BFM et France Info. Le mouvement « Extinction Rebellion » est né de nulle part et a aussi réveillé les consciences en mobilisant des milliers de personnes pour bloquer des rues et s’adonner aux joies de l’action directe. A Londres, de grands groupes se sont rassemblés dans la matinée pour bloquer les ponts principaux causant une importante paralysie de la ville. Dommage, les quelques bourgeois londoniens privilégiés étaient bien incapables de se déplacer dans leur Land Rover pour rejoindre leur travail dans la City.
Finalement, 6000 personnes se sont rejointes sur la place du parlement pour « interpeller les pouvoirs publics ».
Ainsi demandent-ils au gouvernement britannique :
de dire la vérité sur l’urgence écologique ; d’inverser les politiques incohérentes ; de travailler aux côtés des médias pour communiquer avec les citoyens ;
d’adopter des mesures politiques juridiquement contraignantes pour réduire les émissions de carbone à zéro net d’ici 2025 ;
de réduire les niveaux de consommation ;
de lancer une "Assemblée de citoyens" nationale pour superviser les changements, dans le cadre de la création d’une démocratie adaptée à ses objectifs.
Le mouvement est intéressant dans le sens ou il fédère un grand nombre de personnes autour du principe de l’action directe sur fond d’écologie militante, mais il devient un contresens évident lorsqu’il quémande un changement au pouvoir. L’idée sous-jacente est un écueil : Extinction Rebellion croit que, laissés seuls, les gouvernements, les entreprises et les organismes de bienfaisance ne feraient pas assez. Ainsi, « un mouvement de masse de personnes devrait se mobiliser afin de faire pression ou de changer les choses elles-mêmes. »
Les militants écologistes doivent changer leur rapport à l’État et à la police. Le mot n’est pas encore dans les bouches : il faut sortir définitivement du capitalisme. Interpeller les élus ou demander des lois ne servira à rien : c’est à nous de construire la société dans laquelle nous voulons vivre. C’est à nous de refuser les logiques mercantiles qui pourrissent le climat, dans toutes ses dimensions. La rébellion n’est plus une option, elle devient la condition nécessaire pour nous éviter désastre.
Comme le dit le journaliste et militant écologiste britannique Steve Topple (The Canary), « Pour parler franchement : nous sommes foutus. Et la seule façon pour que cela change est que nous prenions tous des mesures radicales dès maintenant. Nous ne pouvons pas laisser les politiciens et les entreprises décider, à moins que quelqu’un puisse nommer un point de l’histoire, où laisser le pouvoir à quelques-uns a été bénéfique pour beaucoup. Trop c’est trop. Il est vraiment temps de se rebeller. Avant l’extinction, saisir l’occasion. » Ceux au pouvoir ne changeront pas d’eux-mêmes : personne ne laissera enfin les clefs du monde en renonçant à tous ses privilèges. Une rébellion écologiste mettant la société au défi passera obligatoirement par un rapport de force violent face à l’État et la police. Il n’y a qu’à regarder le bilan des manifestations lors de la COP21 à Paris où nombre de manifestants se sont vus arrêtés et assignés à résidence grâce à des stratégies antiterroristes.
Le mouvement « Extinction Rebellion », bien qu’encore trop naïf dans ses revendications, est un début intéressant quand il renoue avec le principe de l’action directe et de la rébellion avec la lutte pour le climat et pour un changement de paradigme écologique. Son message central est essentiel. La temporalité de ce mouvement, programmé le même jour que celui des Gilets Jaunes en France, est intéressante et fait naître le débat entre l’urgence sociale de ceux qui ne bouclent pas leurs fins de mois et l’urgence climatique de nous tous : qui ne bouclerons pas le siècle actuel.
(1) Référence à l’agression d’une femme noire à Cognac, d’un couple homosexuel à Bourg-En-Bresse, d’une femme voilée dans l’Aisne, d’une journaliste pigiste dans l’Hérault et à la dénonciation de migrants à la gendarmerie.