Antifa de Bernd Langer

jeudi 25 juillet 2019
par  Dyan

Dans Antifa, Bernd Langer nous livre un historique précis et documenté de l’Histoire de l’antifascisme allemand. L’histoire débute en 1923 et l’orientation antifasciste du KPD*, comme le prouve la formation des centuries prolétariennes, groupe visant à la destruction du fascisme hitlérien, et se « termine », en 2017, quand Bernd Langer détaille clairement l’échec de l’antifascisme d’État des années 90 et 2000, menant à des partis institutionnalisés comme PEGIDA* qui réussirent à rassembler plus de 10 000 manifestant·es nazi·es et néonazi·es à Dresde, autour de Geert Wilders, populiste néerlandais.

Le récit, puisque ce livre se lit presque comme un roman historique, est minutieux, approfondi et sans atermoiements. Il livre les détails les plus intéressants de la construction de l’antifascisme allemand sans quitter un point de vue objectif et reste critique quant à ses échecs les plus cuisants.

Puisqu’une présentation globale ne saurait remplacer une lecture de l’ouvrage, voici trois moments marquants qui pourraient nous convaincre d’en faire la lecture :

Des anti-nazis nazis ?

Le livre se divise en deux grandes parties dont la fin du IIIème Reich est le point central. Bernd Langer revient de nombreuses fois sur l’avènement d’Hitler au pouvoir et sur le fonctionnement du NSDAP*, véritable machine politique qui porta, non sans mal, Hitler au pouvoir. Il faut se rappeler que le NSDAP n’était pas un parti d’un seul bloc et comporta, en son temps, ses contradictions internes qui furent outrepassées par la barbarie d’Hitler. L’étiquette völkich* du parti pouvait rassembler de nombreuses tendances dont celle des frères Strasser, anticapitalistes et « sociaux révolutionnaires », dont Goebbels fut un temps membre. Ce groupe plaidait pour un rapprochement avec l’Union soviétique et militait pour la nationalisation des banques, des industries et soutenait les grèves du syndicat de l’ADGB*, véritable force du mouvement ouvrier allemand.

L’aile Strasser du NSDAP fut dissoute en 1926 et l’un des deux frères rejoignit la tendance majoritaire, celle de Hitler. En revanche, Otto Strasser, le second frère milita activement pour la création d’un nouveau parti « national-révolutionnaire », situé entre le KPD et NSDAP. Ce travail ne mena à rien, la majorité de ses membres finit par rejoindre le parti communiste allemand peu de temps après.

L’antifascisme patriarcal des années 20

En 1924, dans la directe lignée des Centuries prolétariennes du KPD, le comité central crée la Fédération Rouge Combattante, afin « d’élever les consciences de ses membres », l’affuble d’un « dress-code » de combattants (blousons, casquette d’assaut, ceinturons) et l’enjoint à marcher en tête de tous les défilés.
Les réactions féministes internes à ce groupe se font fortes et un groupe de femmes ébauche la formation d’une organisation berlinoise non-mixte de femmes révolutionnaires : la RFMB (Fédération des Femmes et Jeunes Filles Rouges). Cette création est validée, toutes et tous ayant en mémoire les actions des combattantes durant la révolution russe.

Malheureusement, de nombreuses voix s’élevèrent pour interdire les manifestations aux groupes de femmes, prétextant qu’ « elles n’étaient pas de taille à ce type d’engagement ». Mais la section féminine, menée par Grunert conduisit le combat pour « des réformes sociales sur la protection de l’enfance, l’aide sociale, l’aide scolaire ». Il est intéressant de voir à quoi les femmes sont cantonnées en tant que militantes contrairement à la majorité des hommes qui militaient dans les sphères régaliennes. Dans les revendications des femmes de la RFMB, on ne trouve que les communs habituels : « éducation des femmes et jeunes filles à la lutte des classes, contre l’exploitation et l’oppression capitaliste[...] » signe que la RFMB resta une organisation patriarcale par défaut ne vivant que dans l’ombre masculine de la Fédération Rouge Combattante.

L’État, défenseur des néonazis

De 1993 à 1994, de nombreux rassemblements furent organisés par l’Antifaschistische Aktion (notée AA) pour hanter littéralement les nazis et néonazis dans leurs entreprises de construction. Ainsi de nombreux lieux de rendez-vous nazis furent occupés et des manifestations contre des rassemblements du NPD* furent tenus. Il s’agissait ici de ne laisser aucune rue aux fascistes et d’occuper l’espace public et médiatique par des actions coup de poing, comme par la présence massive du black-bloc.

En juillet 1994, 17 personnes furent arrêtées et accusées de constitution d’organisation criminelle pour leur militantisme dans l’Autonome Antifasciste et pour avoir promu la RAF*. Il s’agissait précisément de barrer la route à l’antifascisme autonome et de massifier la criminalisation des militant·es.
Contrairement aux attentes de l’État, cette offensive eut une réponse interne fulgurante : alors qu’elle peinait à fédérer, l’AA se souda et la répression fit taire toutes les contestations internes. Une manifestation unitaire rassembla de nombreuses personnes sous le mot d’ordre « Stoppons le terrorisme d’État - Ripostons » et relança la dynamique de l’Action antifasciste allemande. Les poursuites furent abandonnées en 1996, quelques jours avant le début du procès.

Antifa : Histoire du mouvement antifasciste allemand est une magnifique série de « photographies » du mouvement antifasciste dans ses différentes époques. Avant la guerre, les communistes prévalent en nombre lorsque l’AA est le fruit du KPD allemand, contre le DNVP* et NSDAP. À la fin des années 90, l’AA est constituée de nombreux autonomes.

Il est d’ailleurs intéressant de voir quelle place occupe la critique du capitalisme ou du souverainisme dans le mouvement des années 90, alors que l’antifascisme au sens strict représente pour certain·es militant·es l’essentiel du mouvement antifasciste.

L’Action Antifasciste porte bien son nom, elle est comme la harceleuse des fachos, où qu’ils soient, quoi qu’il fassent. Comme le dit très bien Bernd Langer, « l’antifascisme se construit, quelles que soient les nouvelles saloperies qu’ils nous inventent, alors que chacun·e se sente invité·e à rejoindre la lutte ».

Le logo de 1932, représentant les deux drapeaux rouges du SPD et du KPD est abandonné. En 1989, Bernd Langer retrace le logo de l’AA. Il intègre le drapeau noir, comme rappel de la composante anarchiste de l’antifascisme et les drapeaux sont orientés différemment, représentant un mouvement de gauche, contre la droite.

Langer Bernd, ANTIFA : Histoire du mouvement antifasciste allemand, Coéd. Libertalia et La Horde, 2018.

Notes :
* KPD : parti communiste d’Allemagne.
* PEGIDA : acronyme de « les européens patriotes contre l’islamisation de l’occident ».
* NSDAP : parti national-socialiste des travailleurs allemands (parti nazi).
* DNVP : parti populaire nationaliste allemand se revendiquant antirépublicain, antidémocratique, anticommuniste.
* völkich : terme très discuté mais reprenant globalement comme thématiques : l’antisémitisme, l’aryanisme, le catholicisme, etc.
* ADGB : confédération générale syndicale allemande
* NPD : parti national démocrate
* RAF : fraction armée rouge