Anarchives de l’Ain — 1. Les années 1890 (fin)
par
Sous la rubrique Anarchives de l’Ain, L’Éclat publie depuis son n°3 des documents d’archives inédits relatifs à l’histoire de l’anarchisme dans le département de l’Ain. Sources : Archives nationales (AN) — 12504. Organisation anarchiste en France (1894) ; Archives départementales de l’Ain (ADA) — 934/1-2. Anarchistes. Dossiers individuels et divers (1894-1914).
Anarchisme et prostitution : le cas Saÿs.
En 1894-1896, la Préfecture de l’Ain s’intéresse aux déplacements d’un nommé « Saÿs, François, Jean, Martin, né le 16 septembre 1867 à Lyon, anarchiste », qui travaille comme « serrurier-mécanicien » pour François Gros, un notable de Gex. Le 23 juin 1894, le Préfet de Bourg écrit ainsi au Ministre de l’Intérieur : « Saÿs recevait, depuis son établissement à Gex, une assez volumineuse correspondance ; celle-ci était devenu plus rare depuis plus d’un mois, mais comme d’un autre côté Saÿs se rend assez fréquemment à Genève où il ne manque pas de se mettre en rapport avec les compagnons anarchistes, j’ai pensé qu’il était prudent de s’assurer sans plus tarder s’il ne servait pas d’intermédiaire entre les anarchistes de Genève et ceux de France ». Il ordonne alors une perquisition, qui est « absolument infructueuse ». Deux mois plus tard, le 18 août 1894, un « Rapport du Maréchal des Logis Chef Charvet, commandant la brigade de Gex » surenchérit et, après avoir fait état des déplacements réguliers de Saÿs à Genève (« tous les quinze jours »), suppute qu’il « doit y assister à des réunions anarchistes ». Le 28 octobre 1894, un « Rapport du Commissaire spécial d’Annemasse » éclaire d’un jour neuf ces séjours réguliers dans la grande ville suisse : « Le Sieur Saÿs vient, en effet, chaque samedi soir au dimanche matin à Genève, où il a pour maîtresse la nommée Garnier, dite la Boiteuse, fille de l’anarchiste Garnier Joseph Gérôme et sœur de l’anarchiste Calame Gustave Henri, tous domiciliés rue de la Pélisserie, 15. À cette adresse se réunissent d’ailleurs chaque samedi soir nombre de compagnons, notamment les nommés Terrier, Nicolas, Philippot, Bordat, Staggiotti, Calame, Saÿs et autres, attirés surtout par les filles Garnier, qui sont notoirement connus pour ne vivre que du produit de la prostitution ». Comme Saÿs vient plusieurs fois passer le samedi soir à Genève avec son patron, l’honorable entrepreneur, négociant et « membre du Conseil municipal » de Gex, François Gros, il y a fort à penser que les motivations de ses allées et venues soient davantage putanesques que politiques. Un « Rapport du Maréchal des Logis Chef Fanny », établi lors de son arrestation à son arrivée initiale à Gex, le 8 mars 1894, rapporte d’ailleurs que le prévenu « prétend ne pas être anarchiste » : « il se serait simplement trouvé à Lyon lors d’une bagarre où des arrestations ont eu lieu ; ce qui l’aurait fait désigner comme anarchiste » (ADA, M 934/2).
Les apologistes de l’attentat de Sadi Carnot : Sassard, Chamoux, Fonteneau, Taillade et Thomas.
Après l’assassinat du Président Sadi Carnot par l’anarchiste italien Sante Geronimo Caserio le 24 juin 1894, à Lyon, plusieurs individus sont arrêtés dans l’Ain, à tort ou à raison, « pour avoir fait l’apologie de l’assassinat de M. le Président Carnot » : Sassard et Chamoux, dont on a déjà parlé dans les « Anarchives de l’Ain » (L’Éclat, n°3, p. 12) ; mais aussi Taillade et Fonteneau qui « auraient tenu des propos anarchistes, donnant des craintes de désordres au chef de l’usine » ; suivant un rapport de la police de Gex (juin 1894), Taillade aurait même ajouté que « le sang coulerait à flots et que, s’il allait en prison pour le soutien de la cause anarchiste, ce serait pour la cause de la justice et de la liberté ». C’est enfin le cas de François Thomas (tatouage à tête de chat sur le bras gauche), cordonnier au chômage déjà connu des services de la police lyonnaise pour avoir tenu « des propos révolutionnaires » et fait « de la propagande anarchiste » (télégramme de juin 1890), qui loge dans un garni quand il peut, couche parfois au violon municipal et s’adonne seul à la boisson : arrêté le 11 juillet 1894 pour apologie de l’assassinat de Carnot, il est condamné à 6 mois de prison. (ADA, M 934/2). La propagande par le fait : le cas Vendel. La Notice individuelle de l’anarchiste Jules Vendel, né à Chevry (Ain) le 2 avril 1861, est le seul document de cette période qui fournisse un renseignement concret sur la propagande par le fait dans le département. En 1895, ce garçon de café aurait en effet exhibé « deux cartouches de dynamite de différentes longueurs » et exposé en public les principes de « la force explosive » (ADA, M 934/1).
Anarchistes de passage : Colin, Chassat, Chave, Barthès, Talmagnan, Bardoux, Chopin et Salvino.
Il y a aussi des anarchistes de passage : Jean-Baptiste Colin-Bayard et un certain Chassat, qui séjournent l’un et l’autre à Bourg en 1894 ; Alfred-Joseph Chave, qui y est arrêté le 11 mars 1895 ; Victor-Jules Barthès, né en 1861, qui est signalé dans le département en mai-juin 1897, en août 98 et en novembre 1900 ; Jean-Pierre Tamagnan (1,68 m, blond, vérolé, barbe clairsemée, tatouage à tête d’Arlequin, cicatrice au pied due à la guerre de 1870), qui a travaillé à Saint-Genis-Pouilly en 1891 et dont le passage est signalé dans l’Ain en janvier, juillet et octobre 1894, octobre 1895, août et octobre 1896 : « anarchiste militant des plus dangereux, homme très violent, capable de tout, qui mérite d’être surveillé de très prés » ; Étienne Chopin, de Marseille, incarcéré à Gex en septembre 1894, qui aurait écrit « plusieurs articles dans divers journaux anarchistes tels que La Révolte et le Père Peinard » ; et Louis Bardoux, né en 1848, membre de la Fédération révolutionnaire de la région de l’Est et inculpé lors du Procès des 66, qui s’ouvrit à Lyon, à la suite des violentes manifestations des mineurs de Montceau-les-Mines d’août 1882 et des attentats à la bombe perpétrés dans la capitale rhodanienne en octobre 1882 : comme d’autres, il traversa l’Ain pour rejoindre Genève, lorsqu’il sortit de prison en décembre 1896 ; « l’anarchiste » Eugène Michel Salvino, né le 5 octobre 1878 à Saint-Claude, qui est « terrassier à Nantua » en 1898-1899 et de passage à Bourg le 2 décembre 1900 : à en croire sa « Notice individuelle établie le 17 janvier 1897 », il aurait « fait partie du groupe socialiste de Saint-Claude Les Libertaires » et « fait de la propagande par le fait en commettant plusieurs vols. C’est un individu sournois et méchant qui est né de parents italiens. A été condamné le 19 janvier 1897 à trois mois de prison pour vol et complicité » (ADA, M 934/1-2).