A propos des Femmes et du Rojava .
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On a beaucoup parlé récemment dans les medias de Kobanê, ville kurde de Syrie, et de sa résistance sans moyens à Daesh et sans autre aide que celle des Kurdes de Turquie ou d’Irak, du soutien de ses habitants aux Assyriens, aux Yezidis et autres populations minoritaires éparpillés sur les routes de l’exode, seule alternative au massacre programmé par l’État islamique.
Ce qui est moins connu, c’est que Kobanê est, avec Efrîn et Cizîrê, l’un des trois cantons kurdes disjoints les uns des autres, qui forment la province du Rojava (région kurde de l’ouest de la Syrie). Et que les populations qui forment ce territoire laissé à l’abandon par le pouvoir syrien déstabilisé et par l’administration syrienne, s’organisent pour le faire vivre. L’originalité de cette organisation ?
Une tentative de construire un système d’auto-gouvernement fondé sur des bases laïques orienté vers plus de démocratie et de justice sociale avec une prise en compte de la diversité des groupes ethniques et/ou religieux qui peuplent ce territoire (Kurdes, bien sûr, mais aussi Arabes, Turkmènes, Assyriens, Chaldéens, Arméniens, Tchéchènes, Yezidis, chrétiens, musulmans, syriaques…..)
Une composante féministe qui vise la liberté et le respect des femmes, et dont je voudrais un peu plus longuement parler.
Encore un article sur les femmes écrit par une femme, me direz- vous, mais les mentalités sont longues à changer, et quel que soit l’endroit de notre planète, le regard sur les femmes et la place qu’elles occupent dans la société est encore à travailler : (cf l’article sur l’humour misogyne , et celui de Corinne sur le groupe de parole de femmes d’Hauteville).
Un film
Avez- vous vu le film d’Hiner Saleem, My sweet Pepper Land sorti en France en 2013 ?
On y montre une jeune institutrice célibataire nommée dans une petite école d’un village reculé du Kurdistan. Les hommes lui mènent la vie dure et vont jusqu’à empêcher ses élèves de se rendre à l’école. Il faut bien les protéger, ces pauvres enfants, car une femme seule, sans protecteur, est forcément une femme dépravée que les citoyens vertueux doivent mettre en quarantaine ….
On y montre aussi un bataillon féminin qui franchit les frontières et opère une guérilla sans relâche contre ceux que l’on suppose djihadistes, qui ne rêvent que de les éliminer : rendez-vous compte, si elles donnaient des idées à d’autres femmes ?
Donc, pour en revenir au Rojava, la contagion semble se propager et les femmes, dans la même perspective d’auto-détermination et d’auto-gouvernance que le Contrat Social du Rojava conclu par le peuple pour le peuple en janvier 2014, occupent leur place et participent à la vie de leur village ou de leur quartier ou à celle de leur canton.
Des garantes d’une vie familiale sans violence :
Au vu du contexte culturel de cette région , présenté dans le film et qu’on retrouve dans le cinéma plus ancien de Ylmaz Gûney et dans les livres de Yachar Kemal, ce qui semble s’y passer est encore plus remarquable : dans une contrée où règne une forte tradition patriarcale, les choses changent et les traditions évoluent. La polygamie et les mariages forcés ou précoces ont été interdits, et des structures spécifiques composées de femmes sont chargées de la question du droit des femmes : un congé maternité a été instauré, elles règlent le partage des biens en cas de séparation, une assistance téléphonique a été créée pour aider les femmes confrontées aux violences familiales, conjugales, aux viols, aux crimes d’honneur, suite au suicide d’une jeune femme de 18 ans après avoir été mariée de force par son père. L’homme n’est plus le seul à décider dans sa famille .
Des combattantes :
Chacun garde en mémoire l’image de bataillons féminins médiatisés lors du siège de Kobanê, et dans le film d’Hiner Saleem : si les guerriers djihadistes sont galvanisés par la promesse de 72 vierges au Paradis en cas de mort au combat, comme tous bons machos qui se respectent, ils sont terrorisés à la pensée d’être tués par des femmes et de se voir fermées ainsi les portes du Paradis. La mort par la main d’une femme n’est pas glorieuse. Dans ce cas, la femme la plus pacifique se sent des envies de combattre pour lutter contre cette vision machiste et sexiste de la représentation féminine. La place des femmes n’est plus seulement aux champs, au foyer ou derrière le métier à tisser, (ah, les belles images d’Epinal !) mais aussi au combat . Au pays des bandits d’honneur, des guerrières se sont dressées.
Des actrices dans la vie de leur quartier :
Mais on ne peut pas tout le temps jouer à la guerre, et c’est dans la vie de tous les jours que les femmes jouent leur rôle dans le projet d’auto- administration du Rojava. La place des femmes y a été pensée. Un pourcentage minimum de femmes est requis dans les assemblées : elles participent à hauteur de 40 % aux conseils de village ou de quartier, et pour tout poste de décision un homme et une femme sont nommés conjointement .
En quoi consistent ces assemblées de quartier ou de village ? On y débat de l’école, de l’environnement, du ramassage des ordures, des problèmes spécifiques à chaque quartier, on y règle les conflits et autres problèmes.C’est donc la vie quotidienne qui y est gérée.
Être une femme au Kurdistan n’est pas à priori une expérience facile à vivre. Le poids des traditions d’une société patriarcale forte semble pourtant s’ébranler, et les choses bougent. Les femmes du Rojava ont réagi et réfléchi à l’oppression patriarcale et voici ce qu’elles en disent à Janet Biehl lors d’un voyage au Rojava en décembre 2014 : « Les femmes sont essentielles pour la démocratie….. Ce qui s’oppose à la liberté des femmes n’est pas tant le patriarcat que l’État-nation et la modernité capitaliste. La révolution des femmes vise à libérer tout le monde. Les femmes sont à cette révolution (celle du Rojava) ce que le prolétariat était pour les révolutions marxistes léninistes du siècle passé ».
Ne faisons pas l’erreur de croire qu’ici les choses sont plus faciles à vivre et que le machisme et le sexisme sont dépassés. Osons occuper sans crainte notre place, prenons la parole et défendons si besoin notre position de femmes sans qu’on nous accuse de paranoïa , d’hystérie ou de verser dans un féminisme pur et dur. On peut s’exprimer sans que les hommes imaginent qu’on leur déclare la guerre.
Em
Pour en savoir plus :
Janet Biehl : De retour du Rojava, impressions et réflexions , oclibertaire@free.fr , 30/12/2014
Sylvie Jan/Pascal Torre : La réponse Kurde , ed.France Kurdistan
Rafael Taylor , Révolution sociale au Kurdistan, Le Monde Libertaire n°1750
Dossier sur Kobanê, Alternative Libertaire n° 244
Bruno Deniel-Laurent et Yvan Tellier , le monde.fr du 28/01/2015
Rebellyon.info du 17/09/2014 : révolution au Rojava