Voltairine de Cleyre (1866-1912)

mardi 10 février 2015
par  Dan

En parlant de Voltairine, Alexander Berkman disait : « Toute sa vie a été une protestation contre les simulacres, un défi lancé à toutes les hypocrisies et une force incitant à la révolte sociale. »

Voltairine de Cleyre est née le 17 Novembre 1866 à Leslie (Michigan), aux États-Unis, dans un milieu pauvre et ouvrier. Elle aura deux sœurs : Marion, qui va se noyer en 1867, et Adelaïde. Voltairine va grandir dans une famille rongée par le malheur : à la suite de vives tensions, ces parents vont finalement se séparer. Voltairine va montrer très rapidement de très grande qualités intellectuelles : autodidacte, elle saura lire dès l’âge de quatre ans et elle écrit son premier poème à six ans. En Septembre 1880 son père l’envoie au couvent of Our Lady of Lake Huron à Sarnia, en Ontario. Cette décision est des plus surprenantes, venant d’un homme qui avait abandonné très tôt la foi catholique dans laquelle il avait pourtant était élevé. Il aura certainement fait ce choix pour permettre à sa fille d’acquérir une instruction capable de mettre à jour le talent qu’il sent en elle. Voltairine vivra très mal ce passage obligé au sein de cette institution et elle écrira quelques années plus tard, quand elle repensera à ces moments : « Que de pitié m’inspire encore aujourd’hui ce souvenir ; pauvre petite âme combattant seule l’obscurité de la superstition religieuse ». Malgré tout, elle va s’attacher à ses études et travailler dans des domaines aussi variés que la mythologie, la physiologie, la géographie physique, la calligraphie, les mathématiques, le français. Voltairine est de plus en plus attachée aux idéaux de la pensée libre et rationnelle, ce qui la rendra de plus en plus critique et sceptique envers le dogmatisme et l’obscurantisme religieux. Elle a 17 ans, quand elle quitte le couvent et se consacre aux Beaux-arts. Elle est devenue une libre penseuse et commence à avoir des activités littéraires. Elle rédigera des poèmes et des essais et se fera une réputation grandissante. Elle va s’essayer quelques temps au socialisme, mais elle renoncera très vite, car même si elle est sensible aux idéaux socialistes du fait des injustices sociales et économiques, elle ne peut faire de compromis entre sa soif de liberté et la place que tient l’État chez les socialistes.

C’est le 11 novembre 1887 que Voltairine va épouser la cause anarchiste et ne plus jamais la quitter. Ce 11 Novembre, quatre Anarchistes : Engel, Fischer, Parson et Spies, seront pendus, alors qu’ils étaient innocents, et leur camarade Lingg se suicidera la veille pour échapper à la pendaison. Ils sont accusés d’avoir fait exploser une bombe le 4 mai 1886, lors d’une manifestation contre la répression policière qui s’était abattue le 3 Mai de la même année sur des grévistes de la McCormick Harvesting Machine Compagny à Chicago et qui avait causé la mort de six hommes. Voltairine va donc être profondément choquée par cette affaire. Elle va commencer à s’intéresser aux idées de l’anarchie, rencontrer des amis des inculpés et étudier les thèses anarchistes. En 1888, Voltairine de Cleyre deviendra une Anarchiste convaincue. Dès lors, elle ne cessera de dénoncer les abus de cette société. Elle partagera la conviction de nombreux anarchistes tels que Kropotkine, pour qui l’anarchisme repose sur un fondement éthique. Ses premiers combats seront d’ordre féministe, son action et sa réflexion sur ce sujet apporteront beaucoup aux droits des femmes. Le 12 Juin 1890, James B. Elliot qui est un libre penseur (mais pas un anarchiste), devient l’amant de Voltairine, ils auront un garçon prénommé Harry qui nait le 12 juin 1890. Cette relation amoureuse ne durera pas. C’est Elliot qui s’occupera de leur fils. Ils resteront amis et continueront de se voir. Malgré l’absence de sa mère, Harry lui vouera une immense admiration. Voltairine vit alors en donnant des leçons de Français et de Mathématiques, mais sa situation financière est très difficile. Les textes qu’elle fait paraître dans la presse anarchiste ne sont pas rémunérés. Elle donnera des cours d’Anglais à de jeunes immigrants juifs. Elle découvrira grâce à eux le peuple juif et exprimera souvent son admiration envers celui-ci. Voltairine n’est pas une femme qui recherche la notoriété, elle préfère rester dans l’ombre, rester au côté des déshérités, des pauvres. Elle est donc une femme qui prône l’austérité. Elle écrit et donne des conférences partout aux Etat Unis et, parallèlement, crée des groupes de lecture et de discussion, distribue des tracts, vend des revues et mène une vie de militante. Malgré sa santé fragile Voltairine se rendra en Europe, en Angleterre où elle prononce des conférences et rencontre d’autres militants anarchistes dont certains sont célèbres : Kropotkine, Rocker, Jean Grave… À Paris, elle visitera le Mur des Fédérés et fera aussi des rencontres, notamment celle de Sébastien Faure. Toutes ces rencontres forgent sa réflexion. La rencontre avec des anarchistes espagnols comme Fernando Terrida del Marmol aura un grand impact sur voltairine.
Voltairine rentre aux Etats Unis en 1901 : une année sombre pour l’anarchisme en Amérique. En effet, un certain Czolgosz, qui avait assisté à une conférence d’Emma Goldman (autre grande figure de l’Anarchisme féminin aux Etats Unis) assassine le vingt-cinquième président des états unis : William McKinley. Les anarchistes seront pris en chasse, arrêtés et persécutés. Ils subiront violences et discriminations. Emma Goldman, comme tant d’autres, sera emprisonnée. Voltairine qui à toujours prôné la non-violence comprend sans pour autant les cautionner pourquoi des hommes font preuve d’une telle violence. Elle écrit sa célèbre formule à ce moment là : « Les géhennes du capitalisme créent des désespérés, et les désespérés agissent désespérément ! » En 1902, le sénateur Joseph R.Hawley offre 1000 $ à celui qui ouvrira le feu sur un anarchiste. Voltairine répond au sénateur dans une lettre qui sera publiée dans Free Society. Elle se donne en cible gratuitement et écrit :

Cher Monsieur,
Je lis dans le journal de ce matin que vous auriez affirmé être disposé à « offrir 1000 $ pour tirer un coup de fusil sur un anarchiste ». Je vous demande ou de prouver que votre proposition est sincère ou de retirer cette affirmation, qui est indigne – je ne dirai pas d’un sénateur, mais d’un être humain.

Je suis une anarchiste, je le suis depuis 14 ans et la chose est de notoriété publique puisque j’ai beaucoup écrit et prononcé de conférences sur le sujet. Je suis persuadée que le monde serait un bien meilleur endroit s’il n’y avait ni rois, ni empereurs, ni présidents, ni princes, ni juges, ni sénateurs, ni représentants, ni gouverneurs, ni maires, ni policiers. Je pense que ce serait tout à l’avantage de la société si, plutôt que de faire des lois, vous faisiez des chapeaux—ou des manteaux, ou des souliers ou quoi que ce soit d’autre qui puisse être utile à quelqu’un. J’ai l’espérance d’une organisation sociale dans laquelle personne ne contrôle autrui et où chacun se contrôle soi-même.
Toutefois, si vous voulez faire feu sur un anarchiste, cela ne vous coûtera pas 1000 $.

Il vous suffira de payer votre déplacement jusque chez moi (mon adresse est indiquée plus bas) pour pouvoir me tirer dessus, sans rien avoir à débourser. Je n’offrirai aucune résistance. Je me tiendrai debout devant vous, à la distance que vous déciderez et, en présence de témoins, vous pourrez tirer.

Votre flair commercial américain ne sent-il pas qu’il s’agit là d’une véritable aubaine ?
Si toutefois le paiement du 1000 $ est une condition non négociable de votre proposition, alors, après vous avoir permis de tirer, je voudrais donner ce montant à des œuvres qui militent en faveur de l’avènement d’une société libre et dans laquelle il n’y aurait ni assassins, ni présidents, ni mendiants, ni sénateurs.

Voltairine de Cleyre Philadelphie 807, Faimount Avenue 21 mars 1902

Le député Hawley ne tirera pas sur Voltairine, mais un élève de celle-ci, nommé Herman Helcher, le fera. Cet homme mentalement dérangé lui tira une balle dans la poitrine et deux dans le dos. Voltairine survivra à cet attentat et, à peine remise, refusera de porter plainte contre Helcher. Elle dira que ce geste est celui d’un homme malade et que sa démence, causée par les circonstances de la vie, est la seule responsable de cet acte. Elle refusera de l’identifier comme l’auteur de l’attentat et récupèrera des fonds afin d’assurer sa défense. Lorsque Voltairine évoquera cette affaire, elle s’efforcera d’expliquer les raisons pour lesquelles des gens comme Helcher agissent de la sorte : « Contrairement à l’opinion commune, anarchisme signifie : Paix sur la terre, bonne volonté à tous les êtres humains. Ceux et celles qui posent des gestes violents en se réclamant de l’anarchisme ont oublié d’être des philosophes – des exemples pour le peuple – et cela parce que leurs souffrances morales et physiques les ont conduit au désespoir. » Helcher sera condamné à six ans et neuf mois de prison, il sera transféré dans un asile ou il mourra de sa maladie.

En 1906, La pensée de Voltairine à atteint sa maturité. Ses écrits sur l’anarchisme sont plus aboutis que jamais. Se qualifiant d’anarchiste sans qualificatif, elle développera la pensée anarchiste avec une grande clarté. L’année 1908 sera cependant pour Voltairine une année de grande crise morale : désabusée par ce monde, elle se met à douter de la victoire de l’anarchisme. Elle voit en ce monde « une vaste conspiration où les gens se tuent les uns les autres, où la justice ne règne nulle part et où il n’y a de dieu ni dans l’âme, ni hors d’elle ». Malgré cette remise en question, elle continuera à lutter pour son idéal. La dernière année de sa vie sera certainement la plus intense du point de vue du militantisme. En 1911 une révolution éclate au Mexique, elle épousera la cause des insurgés mexicains, sera toujours aussi active et multipliera débats, conférences, publications… Voltairine de Cleyre s’éteindra le 20 Juin 1912 à l’hôpital, atteinte d’une infection au cerveau. Plus de 2000 personnes assisteront à son enterrement.

En 1908, elle écrivit : « Oui, je crois que l’on peut remplacer ce système injuste par un système plus juste ; je crois que l’homme peut arrêter de mourir de faim et de froid, et des crimes que cela entraîne ; je crois au règne de l’âme humaine sur toute les lois que l’homme a faites ou fera ; je crois en la désintégration et la dissolution complètes du principe et de la pratique de l’autorité ; je suis une anarchiste, et si vous me condamnez, je suis prête à recevoir votre condamnation. »

Si vous voulez découvrir ou redécouvrir la vie de Voltairine de Cleyre, plongez-vous dans la lecture de D’espoir et de raison (LUX Éditeur), écrit en coopération par Normand Baillargeon et Chantal Santerre : ce livre retrace toute la vie de Voltairine et expose les essais et poèmes de cette militante anarchiste.