Violence, non violence et anarchisme
par
La violence, une notion ambiguë
La violence est avant tout un rapport social, un rapport de force et de domination entre des individus. Étymologiquement, le mot violence vient du latin vis, qui désigne l’emploi de la force sans égard à la légitimité de son usage ; elle peut être physique ou morale.
La violence serait donc conditionnée à une certaine légitimité. Légitimité bien différente selon d’où l’on vient, qui l’on est, selon la position que l’on occupe dans la société. Un acte violent peut donc très bien être légitime pour certains et complètement illégitime pour d’autres. La notion de violence est donc toute relative selon les individus.
Dans de telles conditions comment définir la violence ?
En ces moments très agités où la révolte gronde aux quatre coins de la terre, les États qu’ils soient démocratiques ou pas, appuyés par les médias de masse, aiment à brouiller les cartes et à faire passer pour violents des actes qui n’en sont pas. Prenons un seul exemple : dès qu’une vitrine vole en éclat, qu’une bagnole part en fumée, que des jets de pierres viennent contrer canons à eau et gaz lacrymogène, les grands défenseurs de l’ordre public claironnent à qui veut bien l’entendre que ces actes sont d’une violence extrême.
L’atteinte à des biens matériels, l’autodéfense des luttes , doivent elles être considérées comme de la violence ? Ces actes ne sont ils pas des réactions d’individus désespérés par ce système qui les broie au quotidien ? La violence ne se situe certainement pas dans ces actes qui pour la plupart ne portent pas atteinte aux personnes : ceci ressemble plus à des gestes de révolte face à un fonctionnement sociétal basé sur l’exploitation des uns par les autres.
Cette confusion, cette ambiguïté alimentée par les politiques de droite comme de gauche permet de diffuser au sein de la société un climat de peur ; en découlent tout naturellement toutes les lois répressives contre les individus qui ont choisi d’ exprimer leur refus de ce système .
La violence ne se trouverait donc pas du côté qu’on voudrait nous faire croire. Pour se donner une idée précise d’une définition du mot violence, il suffit de regarder du côté du pouvoir quel qu’il soit : étatiste, révolutionnaire, économique, là est la réelle violence. Violence des États avec leurs répressions, guerres, génocides. Violences de ces révolutionnaires qui utilisent la violence qu’ils récusent à leurs adversaires pour arriver à leurs fins. Violences d’une économie capitaliste qui détruit physiquement et psychologiquement les travailleuses et travailleurs.
La non- violence une notion tout aussi ambiguë
Ces derniers mois, la question de la non-violence est revenue sur le devant de la scène poussée par l’agitation des individus qui par le monde demandent de vivre une réelle démocratie. Je ne reviendrai pas ici sur le mouvement des indignés espagnols et leurs émules en France.
La non- violence, les indignés espagnols qui s’étaient rassemblés sur les places du pays la revendiquaient et en avaient même fait leur porte- drapeau. Nous avons tous vu ces images de la « Plaza de Catalunya » où des manifestants se faisaient cogner dessus sans broncher par des flics solidement armés.
La non-violence serait donc un moyen de faire aboutir ses revendications, de faire plier l’oppresseur. Aujourd’hui nombre d’individus qui se revendiquent non-violents argumentent leur choix par le fait de l’influence psychologique que peut avoir le concept de non-violence sur l’adversaire. Ils prennent souvent pour référence le Mahatma Gandhi, ils revendiquent la non-violence en lui attribuant une conception soit- disant spirituelle, ils refusent le conflit comme si cette société était exempte de conflits économiques, politiques, sociaux.
Prendre pour référence Gandhi, pourquoi pas, mais sans tomber dans le piège d’occulter une partie de son discours. Gandhi ne disait il pas que la violence défensive était moralement supérieure à celle offensive, la violence spontanée était supérieure à la violence préméditée, ne disait il pas que la non- violence était infiniment supérieure à la violence, mais cette dernière infiniment supérieure à la lâcheté ?
Parfois les individus qui se revendiquent de la non violence arrivent au paroxysme de la contradiction comme par exemple, lors des rassemblements altermondialistes (Seattle, Davos, Nice, Québec, Göteborg) où certains ont joué le jeu de la police en dénonçant des militants radicaux ( dont des anarchistes) qui avaient détruit des symboles du pouvoir capitaliste ( destructions d’enseignes Mc Donald’s, Nike etc … ). Ces non-violents ont été rejoints par tout le mouvement social réformiste (pacifistes, écologistes, politiques, syndicalistes…) qui de concert ont condamné les actes de ces « casseurs » comme ils les ont nommés à l’époque. Les cartes étaient à nouveau brouillées, « l’état de droit » avait gagné.
Il n’en reste pas moins que la non-violence, surtout quand elle est réellement collective et massive, peut permettre de faire fléchir le pouvoir de la domination, mais seulement dans certaines conditions. Qu’en est-il de la non-violence face à la violence absolue du fascisme, du totalitarisme ? Face à la violence brute, que peut faire la non-violence ?
Et les anarchistes dans tout ça ?
Dans l’imaginaire collectif les anarchistes seraient violents. Les années de propagande de nos ennemis de tous poils pour diffuser ce genre d’ineptie n’y sont sans doute pas étrangères.
Alors clarifions les choses : les anarchistes sont contre la violence, ils la dénoncent depuis toujours . Erico Malatesta disait en parlant de la violence : « Les anarchistes sont contre la violence. Tout le monde le sait. L’idée centrale de l’anarchisme est l’élimination de la violence dans la vie sociale, c’est l’organisation des rapports sociaux fondés sur la libre volonté de tous et de chacun, sans intervention du gendarme ».
Nombres d’anarchistes rejettent donc la violence, mais refusent d’accepter d’être victimes de celle ci sans répondre, ils se placent donc sous une forme de légitime défense. Ils ne veulent pas se résigner à laisser la violence gagner du terrain car se serait accepter cette violence, la cautionner et abdiquer devant elle.
Et puisqu’il est question de citer Gandhi dans cet article, voici ce qu’il disait en parlant de l’anarchie et de la non-violence : « Le stade le plus proche de l’anarchie serait une démocratie basée sur la non-violence ».
Les moyens de lutter contre la violence sont divers et il ne sert à rien d’opposer une méthodologie à une autre. La non-violence a certainement sa place mais ne suffira sans doute pas ; quant à la légitime défense, elle semble être une question de survie face à l’acharnement militarisé des pouvoirs en place.
Mais ne perdons pas de vue que la violence dite légitime -celle des oppresseurs de tous poils- est de plus en plus sophistiquée. Les peuples n’ont donc pas d’autre choix que de trouver des moyens de contrer cette violence en évitant le rapport de force frontal. Il leur faudra certainement imaginer de nouvelles formes de résistances collectives et individuelles de manière à éviter de se placer sur le terrain de l’adversaire : celui de la violence justement.