Utopie antique et guerre des paysans en Chine.

Décembre 2014
jeudi 12 février 2015
par  Gia

Dans la préface de ce petit ouvrage publié en 2004, Ngo Van reprend à son compte la définition de l’utopie proposée par Joseph Déjacque dans L’Humanisphère, Utopie anarchique (1857) : « par utopie nous entendons le rêve non réalisé mais non pas irréalisable ».

On croit trop souvent que l’utopie est un phénomène propre à l’Occident. Si le mot fut inventé par Thomas More en 1516, le concept qu’il désigne est beaucoup plus ancien et c’est ce que Ngo Van s’efforce de démontrer en parcourant l’histoire des révoltes paysannes en Chine du premier siècle avant JC à la fin du XIXème siècle.
Les utopies chinoises doivent beaucoup à l’école du Tao de Lao tseu (environ 500 avant JC). Cette école pose des principes qui s’opposent en premier lieu au confucianisme. Alors que l’école de Confucius, garante de l’ordre féodal, prône la soumission du sujet au roi, de la femme à l’homme, du fils au père, les taoïstes appellent au retour à la nature, à une vie simple et joyeuse libérée des lois et de la morale. L’école du Tao s’oppose également à l’école des Lois (dominante de 221 à 207), qui, si elle condamne les traditions féodales, le fait au nom de la constitution d’un pouvoir monarchique absolu.

Les révoltes paysannes en Chine (comme ce fut le cas pour les guerres de paysans avec Thomas Mûntzer en Allemagne au XVIème siècle) présentent une double caractéristique : un ensemble de réalisations concrètes dans le domaine social et un élan millénariste qui vise à instaurer sur terre un paradis, un âge d’or de l’humanité. Qu’il s’agisse du rétablissement d’un état originel idéalisé ou de la réalisation d’un avenir prophétique, tous ces mouvements traduisent la même impatience : c’est ici et maintenant que la société idéale doit advenir.

Ces utopies éphémères présentent des points communs, malgré les différences d’époques : un idéal égalitariste et communautaire ( « niveler nobles et vilains ; égaliser riches et pauvres » comme le proclamait Tchong Siang dans les années 1130), un refus de la hiérarchie ( Ngo Van considère Ko Hong -253-333- comme le « premier anarchiste libertaire »), une libération des mœurs (égalité entre les sexes, pratique de l’union libre). Elles connaissent aussi la même fin. Quand elles ne sont pas sauvagement réprimées, elles dégénèrent avec l’apparition d’une nouvelle classe dominante qui tente de s’approprier le pouvoir.

Néanmoins, ce constat ne conduit pas au pessimisme : ces utopies avortées sont révélatrices de la capacité des exploitéEs à inventer d’autres mondes, certes imparfaits. « En Chine, comme en Occident, l’utopie, qui fut si fort enracinée chez les dépossédés, participe d’un savoir populaire de l’émancipation qu’il importe de remettre en lumière, avant qu’il ne se noie dans les adaptations sinueuses et brutales de la modernité économique aux coercitions du passé ».

Ngo Van : Utopie antique et guerre des paysans en Chine. Le chat qui pêche- 2004.