Une leçon d’histoire : Ne croyez pas les promesses d’un État , même si vous avez signé un contrat !
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C’est un épisode de l’histoire française que je voudrais vous conter . Il peut paraître anecdotique (c’était au siècle dernier) et surtout exotique (cela concernait des hommes d’une lointaine colonie) mais il est un exemple de la manière dont un État peut broyer sans remords ni complexe des vies humaines .
Nous sommes en 1939 : la guerre est déclarée . L’État français, par le biais de Georges Mandel, son ministre des colonies, fait venir 20 000 travailleurs indochinois pour remplacer les soldats partis au front, soutenir l’effort de guerre et faire tourner les usines : Péchiney, Kuhlmann , Berliet entre autres. On les envoie en France comme ONS - ouvrier non spécialisé - avec promesse de retour au pays à la fin du contrat munis d’un petit pécule. Quelques uns, un peu aventuriers, soucieux de connaître la France, se sont enrôlés de leur plein gré. Mais les plus nombreux ont été réquisitionnés de force : chaque famille de cette lointaine colonie doit donner un fils à la « Mère Patrie ». Pour échapper aux autorités chargées de fournir leur quota d’indigènes, ils se cachent dans la forêt , certains se mutilent pour ne pas être pris .
Le long voyage en bateau se fait à fond de cale avec l’autorisation de happer un peu d’air frais quelques instants seulement par jour : ces va-nu-pieds venus servir la France n’espèrent quand même pas se mêler aux Blancs et bénéficier des mêmes services que l’élite de la France !
Débarqués à Marseille, ces pauvres bougres venus au secours de la Mère Patrie en guerre sont d’abord cantonnés dans une prison en construction sans sanitaires et sans eau -la future prison des Baumettes - avant d’être dispatchés selon les besoins de nos industriels. Mal nourris, mal logés, mal payés (ils touchent 1/10ème du salaire d’un ouvrier français de l’époque), mal vêtus, mal soignés quand ils sont malades (les hôpitaux refusent souvent de les soigner et ne leur donnent pas de médicaments), ils sont répartis un peu partout en France, et ont un statut de soldat indigène. La France de Vichy les considère comme des indigènes tout court, ne tient pas la promesse de les rapatrier et continue de les faire travailler pendant l’Occupation : ils vont par exemple travailler sans le savoir pour les allemands en remplissant des cartouches – travail très dangereux- dans les poudreries nationales, ou, sans savoir pourquoi on les emprisonne ni où on les envoie, en gardant des Juifs en partance pour les camps de la mort. Pour continuer de consommer le riz qu’elle fait venir des colonies et qu’elle ne reçoit plus pendant la guerre, la France demande à ces indigènes qui ne sont pas tous des paysans d’initier la riziculture, et les Camarguais eux mêmes ignorent souvent que si on trouve des rizières en Camargue, c’est à ces Indochinois immigrés de force qu’on le doit.
A la libération leur sort n’est pas plus enviable : on les oublie volontairement. Il faut de l’argent pour les rapatrier et leur donner leur maigre pécule, on a encore besoin de cette main d’œuvre bon marché, et surtout la rébellion commence en Indochine . Il n’est pas question de renvoyer chez eux ces hommes honteusement exploités qui seront sans doute là-bas les premiers à vouloir se libérer de la puissance tutélaire. Alors qu’ils brûlent de rentrer au pays combattre les envahisseurs, leur retour n’est de toute façon pas désiré par leurs compatriotes : les Vietnamiens, en guerre contre la France colonisatrice, leur reprochent leur service pour la France en oubliant qu’ils ont été recrutés de force.
Certains, las d’essayer de faire valoir leurs droits au retour, décident de s’installer en France, mais pour la majorité d’entre eux qui souhaitent leur rapatriement, l’histoire va durer jusqu’en 1952 : quatorze ans d’une vie d’esclave au service de la France ! Et un retour sans pécule, bien sûr,ni remerciements, ni droits à la retraite !
C’est ainsi que la Mère Patrie a traité ses enfants au siècle dernier . Mais de nos jours, nous travailleurs, sommes nous mieux traités par nos gouvernements ?
Pour ceux qui voudraient se documenter :
Un livre : Immigrés de force , de Pierre Daum, éditions Solin
Un film : Cong Binh , la longue nuit indochinoise , de Lam Lê