Un projet de cité médiévale sur le plateau.
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Depuis quelques années un projet touristique d’envergure sur le plateau d’Hauteville pointe son nez : Il s’agit de la construction ex-nihilo d’une cité médiévale en pleine nature, sur la commune d’Aranc. Quelques contributeurs se proposent de monter de toutes pièces, dans le temps long, et avec les moyens dont disposaient les bâtisseurs au début du second millénaire, ce qui s’apparenterait à une cité composée de ses murailles, maisons, château, au cœur d’une parcelle de quatorze hectares où paissent aujourd’hui, et depuis fort longtemps, une poignée de charolaises.
Cette façon d’envisager la construction s’inspire d’une expérience similaire dans l’Yonne, le château de Guédelon. Le lieu choisi pour ce chantier se situe au bord de la D8 entre Corlier et Hauteville, sis au pré où vivent les tarpans, troupe de chevaux ancestraux en condition semi-sauvage.
Les rares échos que l’on avait jusque-là de ce projet filtraient dans la feuille de la communauté de communes du plateau, sous forme de tableaux où l’on devait comprendre qu’il était en étude de faisabilité, puis de divers articles de la presse locale, où l’on devait comprendre cette fois que la faisabilité était très faisable.
C’est en s’intéressant aujourd’hui plus précisément à cet objet que l’on commence à cerner les contours et enjeux de ce qui s’avère être un chantier à forte vocation touristique. D’abord le modèle : Guédelon, dans l’Yonne, est une entreprise touristique qui aspire plusieurs centaines de milliers de visiteurs chaque année. Les estimations pour son application bugiste tournent quant à elles autour de dizaines de milliers dès la première année de mise en chantier.
En creusant ensuite la question, on aperçoit le formidable soutien des institutions : la com-com y a joué son rôle de pionnier, mais c’est aujourd’hui le conseil général de l’Ain qui a déployé l’artillerie subventionnaire.
Dans le paradigme moderne qui veut que le tourisme sauverait l’économie française, le projet tombe à pic. Et en plus, il est tellement original !
Voici donc le principe : des travailleurs en habits moyenâgeux, après avoir garé leur voiture sur un parking, s’activent sur le chantier dans leur spécialité (menuiserie, charpente, etc.), à l’aide des techniques en vigueur à l’époque, et sont regardés, photographiés, par des visiteurs qui ont payé leur droit d’entrée sur le site.
Voilà pour le décor, mais l’on peut maintenant s’attarder sur son envers.
Quatorze hectares de prairie naturelle : voilà le lieu choisi aujourd’hui pour implanter ce qui n’est finalement qu’un chantier, au même titre que le serait un chantier de travaux publics, de zone à lotir, ou .. de site d’extraction pétrolière. L’aspect original du projet n’exclut pas les obligations liées à une entreprise touristique qui a vocation à attirer tant de visiteurs : parking pour les autocars, voies bitumées, dessertes pour les personnes handicapées, sanitaires aux normes, éventuellement rond-point, signalisation.
Second problème, le lieu choisi étant fortement isolé d’autres groupes d’habitations, et donc de réseaux de viabilité (eau, assainissement), il va s’agir de le relier. Concernant l’eau, en dehors du fait que de réels pionniers bâtisseurs de l’époque n’auraient jamais envisagé de construction dans un tel site vu l’absence de toute source naturelle, et au vu de la fréquentation annoncée, il faudra en amener, et d’où ? On peut imaginer qu’une réorganisation du réseau d’eau potable au niveau de la commune devra se faire pour implanter une telle entreprise, sur un site éloigné de toute zone pré-définie par une carte communale, comme les zones artisanales ou industrielles par exemple.
Il faut ensuite s’atteler à l’expropriation des résidents actuels du site ; en l’occurrence une exploitation agricole d’élevage bovin. Une équipe communale, alliée aux forces institutionnelles que représentent la com-com et le conseil général, peut arriver à des résultats avec une certaine facilité, bien qu’en droit rural, le loueur, ou fermier, a historiquement quelques avantages sur le bailleur. Ce bailleur en question est la mairie, la parcelle étant une propriété de la commune.
Passés tous ces problèmes, et après, bien-sûr, une étude environnementale vite faite et dont l’indépendance sera à vérifier, mais qui viendra surtout enrober le projet des dorures du développement durable, les bulldozers pourront être déchargés sur place.
On peut se permettre de tirer plusieurs conclusions, ou morales, de cette histoire :
La campagne devient un musée.
À l’instar de ces vieux outils agricoles que l’on accroche aux murs des restaurants ruraux, ou de ces pressoirs à raisin posés au milieu de ronds-points et bourrés de géraniums, on utilise la terre, support de vie, comme support de parc d’attraction.
Ce qui fonde l’existence humaine, l’environnement, la nature, malgré l’alimentation qui en est tirée par le travail des paysannes et paysans, devient un terrain de jeux pour urbains, une occasion de divertissement, aussi culturel et de qualité fût-il.
Apparemment, la crise n’est pas vraiment là, encore.
Si l’on peut encore se permettre d’imaginer que des milliers de personnes voudront se déplacer sur des dizaines de kilomètres, et sur une trentaine d’années, dans un coin paumé du Bugey pour faire du tourisme culturel, c’est que les problèmes économiques et écologiques qui nous pendent au nez, dans le contexte géopolitique mondial, n’ont pas été intégrés par les gens qui décident à la place des autres de la gestion des espaces ruraux.
Il est plutôt possible d’imaginer qu’il est encore temps d’investir la ruralité dans la seule logique aujourd’hui soutenable : que des gens, familles, individus, s’installent, défrichent, pratiquent l’agriculture dans sa noble définition, c’est à dire sans notion d’exploitation (exploitation des travailleurs via le salariat, et de l’environnement via les polluants).
Tout le reste en découlerait : production alimentaire locale, vie culturelle riche et spontanée car présence d’habitants concernés, par là-même développement de l’artisanat, résorption du taux infâme de chômage dans les villes, dont la seule utilité est de représenter un gisement de main d’œuvre exploitable par les employeurs.
Cet aspect de la réflexion mériterait bien-sûr un article à part entière.
La vie n’est pas un jeu de rôle.
En fouillant un peu les infos disponibles sur le net autour de ce projet, on peut tomber sur ce genre de choses : http://cadwallon.guildjdr.com/t677-chantier-medieval-les-batisseurs-de-l-an-mil.
Un des concepteurs de cette entreprise (ou le concepteur principal) fait la publicité du projet sur son site de jeux de rôles en ligne, en signant de son nom de joueur : « abkar l’alchimiste (voleur sur cadwallon) » (rappelons qu’il s’agit d’un adulte).
Au-delà de l’amusement que peut procurer l’analogie entre sa profession sur ce jeu, et son rôle de petit accapareur de terre agricole, on peut s’interroger sur l’utilité de faire migrer des concepts de mauvaise littérature dans la fragile, mais pourtant bien réelle économie du lieu de vie qu’est le plateau du Haut-Bugey.
Bienvenue dans un monde où les adolescents attardés ont plus de poids économique que les acteurs traditionnels que sont les artisanEs ou les paysanNEs.
Une seule solution : le tourisme.
Où l’on comprend qu’une des perspectives considérées comme durables, choisie par les éluEs locaux pour contrer la morosité ambiante, est de faire venir des touristes.
Les hôpitaux d’Hauteville ferment, c’est une dure réalité, et une économie locale importante qui s’évapore. D’aucuns se battent contre ces mouvements qui viennent du haut de la hiérarchie décisionnaire, l’État.
Mais comment ne pas sentir le deuil qui semble vouloir se faire prématurément de cette réalité, en voyant les dynamiques mises en œuvre pour favoriser le sacro-saint développement touristique.
L’ambition de créer une attraction d’envergure pour les faire venir par ici n’est pas neuve, et à chaque nouvelle présidence de notre communauté de communes, une nouvelle idée est à l’ordre du jour.
Bien heureusement il ne s’agit plus, comme il en fut déjà question, d’aller chercher de l’eau chaude à des milliers de mètres sous terre pour créer un centre ludique ou thermal, et l’idée d’un golf n’a toujours pas germé, mais on est jamais à l’abri de Grandes Idées.
Le tourisme est un phénomène inhérent au développement capitalistique, qui propose une consommation de tout ce qui est consommable : paysage, produits locaux, patrimoine oral et matériel, environnement,..
Il en possède les mêmes limites : écologiques d’une part (comment viendront les touristes quand le carburant sera hors de prix ou inexistant par exemple), et sociales d’autre part (exploitation systématique de tout ce qui peut engendrer de la valeur d’échange, notamment de la main d’œuvre).
De surcroît, le tourisme correspond à un système général où les personnes divisent leur temps de vie en deux parties : temps de travail et temps de loisirs. Cette triste et éternelle équation s’insère parfaitement dans le système marchand qui nous entoure depuis les premières révolutions industrielles, où l’humain est apparenté à une machine que l’on règle à sa convenance, où la pâte humaine est pétrie par les mains de ceux qui entendent faire tourner le monde à leur convenance.
Mais encore une fois, ces réflexions peuvent être développées spécifiquement et longuement à d’autres égards.
Bref la liste des conclusions que l’on peut tirer de cette histoire est ouverte.
Septembre 2013