Luttes écologiques ou partis verts ?

mardi 10 février 2015
par  Bernard

Si le rapport entre l’Humanité et la terre a été pensé depuis la nuit des temps par les religions et les philosophes soit en sanctifiant la « mère nature » soit en décrétant l’être humain « maître du monde », c’est seulement depuis une quarantaine d’années que la problématique écologique s’est diffusée et imposée dans toutes les sphères culturelles, politiques, économiques et sociales de la société. Le début des années 1960 aura été le point de départ d’une prise de conscience qu’au-delà d’un certain seuil, la consommation ne donne plus vraiment de sens à une vie humaine et que l’accélération de l’industrialisation nécessaire au gaspillage consumériste met en danger les équilibres fondamentaux qui rende la vie possible sur terre.

Bien entendu, nos capitalistes et nos États n’ont eu de cesse de nier et ridiculiser celles et ceux qu’ils présentent comme voulant revenir au « moyen-âge et à la bougie », alors que se développent la pollution des rivières, mers et océans, la pêche industrielle, l’énergie nucléaire, le tout pétrole, avec ses bagnoles, ses camions et ses autoroutes, les barrages, les pesticides et les OGM, l’élevage intensif et la monoculture imposée sur les terres agricoles, comme la déforestation et l’exploitation des richesses minières des pays pauvres avec les guerres qui vont avec, le bétonnage et la privatisation des côtes au service d’une industrie du tourisme abêtissante, les déchets industriels, nucléaires ou ménagers dont on ne sait plus quoi faire, la composition des produits alimentaires dont il est souvent difficile de lire la liste des ingrédients sans paniquer, les nanotechnologies qui nous plongent dans un nouvel univers inconnu… Et la liste est loin d’être close.
Au fil des ans, grâce au travail de dénonciation, d’information et de luttes menées par des centaines d’associations locales et/ou structurées en réseaux sur toute la planète, mais aussi avec la multiplication de catastrophes écologiques majeures (pétroliers échoués sur les côtes, Seveso, Tchernobyl, Bhopal, amiante, vache folle, responsabilité de molécules chimiques dans certains cancers, évolution, naturelle ou pas, du climat…), l’écologie est devenue un enjeu incontournable de notre société mondialisée.

Des partis verts, pour quoi faire ?

Cela justifie-t-il pour autant l’existence de partis dits écologistes ? Rien n’est moins sûr. En réalité ce sont les réseaux associatifs qui, pour l’essentiel, portent concrètement les luttes écologiques et de protection de l’environnement. Les réseaux « Sortir du nucléaire », « Bretagne vivante », les AMAP et autres structures alternatives de culture et de diffusion de produits de qualité font certainement beaucoup plus pour l’écologie que les élu-es verts dans les régions ou les grands centres urbains.

Nous sommes même en droit de nous interroger sur leur fonction politique d’intégration, voire de sape de réelles perspectives émancipatrices. Par exemple, le concept largement diffusé par Les Verts de « pollueurs payeurs » a fini par être relayé par la bureaucratie étatique en taxes diverses payées par les usagers culpabilisés (projet de taxe incitative sur les déchets ménagers, par exemple) alors que sont épargnés les industriels qui peuvent s’acheter des « droits à polluer » sur le marché européen de la bourse carbone et même en revendre avec de très bons bénéfices ! L’écologie politique est embourbée dans les méandres, les intrigues et combines des stratégies électorales n’ayant pour objectif que la conquête du pouvoir. Un parti qui ne voit qu’une Éva Joly ou un Nicolas Hulot pour s’attaquer aux problèmes écologiques est dans une situation de faillite complète ! Le principe de la représentation politique et la conquête du pouvoir d’État sont hautement incompatibles avec une société équilibrée où chacun-e des individu-es pèserait réellement sur l’ensemble des enjeux économiques et sociaux prenant en compte leur dimension écologique. Les problématiques de santé ou de protection des ressources en eau, citées à titre indicatif, sont des problèmes trop sérieux pour être laissés entre les mains de politicien-nes vert-es qui ne nous conduiront qu’à une impasse. En 2012, nous verrons peut-être la centrale nucléaire de Fessenheim s’arrêter, histoire de lâcher un os après Fukushima, et quelques autres menus avantages, s’il y a une alliance écolos-socialos à la tête de l’État. Mais pas grand-chose d’autre.

Pendant ce temps-là, nos capitalistes et étatistes continueront à nous vendre de l’écologie « durable », c’est-à-dire vendable et rentable. Ils font de l’éolien ou du solaire, si cela rapporte, c’est-à-dire si l’ensemble des abonné-es paient une surtaxe sur leur facture d’électricité. Ils prennent des concessions pour exploiter des vélos en ville sous conditions de disposer d’espaces publicitaires pour nous vendre je ne sais quel nouveau produit. Il y a même du bio dans les supermarchés — et des supermarchés du bio ! —, que nous pouvons acheter bien cher si nous en avons les moyens…L’eau continue d’être polluée par les pesticides et les porcheries industrielles, Veolia et Bouygues monopolisent le marché du traitement des eaux usées…Tout devient et doit devenir durable, tant que cela permet de perpétuer les rapports sociaux de domination et d’exploitation qui nous bouffent la vie.

Quelle perspective ?

Les réseaux associatifs et militants restent et resterons essentiels, car ils tendent à faire de chacun-e un acteur ou une actrice de la société. Continuons donc à les développer et ne perdons pas notre énergie dans les illusoires guéguerres électorales. Interrogeons-nous sur l’économie et l’organisation générale de notre société et commençons à réfléchir et à agir.

Préparons-nous à socialiser l’économie dans une orientation autogestionnaire et libertaire : produire quoi, pour qui, comment ?... L’écologie, ainsi dégagée des préoccupations de rentabilité immédiate du fric, sera alors réellement prise en compte. Pour cela, il faudra bien entrer dans un processus d’expropriation des entreprises privées et étatiques. Les travailleurs manuels et intellectuels qui font tourner les entreprises aujourd’hui peuvent le faire demain, en changeant les conditions de leur travail et le sens de leur vie. C’est à cela que doivent nous préparer les luttes sociales.

Notre société est structurée en classes sociales ou une minorité de possédants autoproclamés « élites » décident de tout. Ils ont à leur disposition l’État, appareil de répression très efficace, se justifiant par la nécessité de trouver un équilibre entre les différents intérêts particuliers. D’où cette insistance à entretenir la division et la confusion entre les individu-es et entre les groupes sociaux. Nous travaillons et sommes « à votre service, pour le bien commun », disent-ils. Comme si nous n’étions pas capables d’agir par nous-mêmes, de penser et d’organiser la vie collective. Il nous faut dès aujourd’hui nous impliquer dans l’organisation des territoires, des villes et des campagnes. Mettre en place des associations de quartiers et de communes coordonnées et fédérées avec l’ensemble des populations concernées. L’écologie, c’est aussi un mode d’organisation sociale qui fait de chacun-e d’entre nous non seulement un-e citoyen-ne (comme habitant-e de la cité), mais surtout un acteur ou une actrice souverain-e.

Développer cet aspect mérite bien plus que quelques lignes et nous aurons l’occasion d’y revenir dans nos prochaines éditions de l’Éclat. Pour celles et ceux qui le souhaitent, nous vous suggérons de vous informer sur ce qui ce passe depuis 2006 à Oaxaca, au Mexique. Même si ce n’est qu’un exemple parmi d’autres de ce qui se fait aujourd’hui pour changer l’ordre des choses, ce que ces populations tentent, se doit d’être connu et diffusé.

Mai 2011