La chanson de Sante Caserio

mardi 22 janvier 2019
par  Rep

Sante Jeronimo Caserio est né dans la plus noire des misères d’un petit village de la campagne milanaise : Motta Visconti. Orphelin de père à l’âge de quatorze ans, il travaille à Milan comme boulanger pour nourrir sa mère et ses cinq frères. Il entre en contact avec le mouvement anarchiste et en particulier avec l’avocat-poète Pietro Gori, l’auteur des plus belles chansons anarchistes de son époque, qui contribuera grandement à la construction du mythe de la chanson anarchiste et de son héros Caserio mais aussi avec le socialisme humanitaire et tempéré de Filippo Turati, qui le considère comme un bon garçon, modeste et sage.

Caserio devient un anti-militariste passionné, il propage des pamphlets contre les campagnes coloniales, est arrêté plusieurs fois et ne trouve plus de travail en Italie. Il émigre en Suisse, puis à Lyon et à Cette (l’actuelle Sète) où il s’installe dans un four qui apprécie son sérieux professionnel. Il n’a jamais fréquenté une école, mais il est un lecteur autodidacte et passionné : il est abonné à la revue Le Père Peinard de Pouget et à La Révolte de Jean Grave. À Cette, il se rend au café du Gard, où l’environnement anarchiste se rencontre. En juin 1894, il apprend par la presse la visite prochaine du président Sadi Carnot à Lyon, prévue pour l’inauguration de l’Exposition Universelle. Ainsi, il prend la décision d’assassiner le président pour venger le non-pardon accordé à l’anarchiste Vaillant, guillotiné pour avoir lancé une bombe au parlement sans faire de victimes.

Il quitte son travail, il salue ses amis, il règle ses dettes et son loyer, et achète un poignard. Il part de Cette, il fait étape à Montpellier et, le 24 juin au soir, à Lyon, il poignarde le président. L’épisode doit cependant être enregistré dans le contexte d’une tension énorme entre les nombreux immigrants italiens et les autochtones : le 16 août 1893 à Aigues Mortes, il y eut un lynchage contre les Italiens qui travaillaient dans les marais salants, et aucun des auteurs n’a été reconnu coupable.

La foule tente de lyncher Caserio, et un sentiment d’hostilité à l’égard des travailleurs immigrés italiens se déchaîne dans toute la France. Au cours du procès, Caserio décide de se défendre et récuse son avocat. Après l’inévitable condamnation, il refuse de faire appel et toute tentative de demande de grâce. Le 16 août 1894, deux mois avant d’avoir 21 ans, et donc toujours mineur aux termes des lois de l’époque, il est guillotiné.

Ce chant est pour vous, les travailleurs,
cette chanson à moi au goût de pleurs
qui nous rappelle un jeune hardi et fort
qui pour l’amour de vous défia la mort.
Et dans tes yeux, Caserio, brillait l’étincelle
des vengeances humaines et rebelles
et au peuple qui travaille dans la souffrance
tu as donné ton amour, tes espérances.

Tu étais dans la fleur de ta jeunesse
mais tu n’as vu que la lutte et la détresse,
la nuit de la douleur et de la faim, de la haine
qui planent sur l’immense masse humaine.
Tu t’es levé avec ton acte de douleur,
pour être de ces tourments le fier vengeur
et tu as frappé, toi, qui étais si bon et cher
pour réveiller des âmes prisonnières.

Pour ton geste si fier les puissants tremblent
et des nouveaux pièges aux idées ils tendent,
le peuple pour qui, ta vie, tu l’as donnée
n’a pas compris, mais tu n’as pas cédé. 

Et tes vingt ans, à une aube de tourment
sur la guillotine tu les as jetés au vent,
et à ce monde vil ton âme infinie
a crié à voix haute : Vive l’Anarchie !

Le jour s’approche, le beau guillotiné,
où ton nom sera enfin purifié,
où la vie humaine sera sacrée, et enfin
tous auront droit à la science et au pain.
Mais dors, Caserio, sous la terre glaciale
où tu entendras rugir la guerre finale,
la grande bataille contre les oppresseurs,
des exploités contre les exploiteurs.

Vous, qui votre vie, votre avenir fatal
avez offert sur l’autel de l’idéal,
phalanges de travailleurs qui êtes morts
pour nourrir l’oisiveté des requins d’or,
vous, martyrs inconnus, soldats de la souffrance
le jour se lève de la grande vengeance,
et déjà le soleil de la justice se lève,
guerre aux tyrans le peuple mène sans trêve !

Traduit de l’italien par rep